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3 juin 2019 1 03 /06 /juin /2019 05:16

Au delà des bornes, il n'y a plus de limite...

Nous évoquons ici une "guerre" oubliée qui donne la mesure de la bétise humaine. Il s'agit de la "Guerre des émeus" qui se déroula à l'automne 1932 dans le district de Campion (Australie occidentale). Les autorités, pressées par les agriculteurs qui souhaitaient protéger leurs récoltes, déclarèrent officiellement la guerre aux émeus. Ceux-ci, en se protégeant du mieux qu'ils pouvaient, remportèrent la victoire... Ce conflit est l'exact inverse de la "Première Guerre du Pacifique", que nous évoquons sur ce blog depuis plus de 3 ans, guerre impensée par les baleiniers, menée consciemment par les cachalots du Pacifique, aux habitudes différentes de leurs congénères des autres océans....

Stratégie particulière des cachalots du Pacifique face aux orques (illustration tirée de : Whitehead (Hal). 2003. Sperm whales : social evolution in the ocean. The University of Chicago Press.)

 

A l'issue de la première guerre mondiale, de nombreux soldats australiens et de vétérans britanniques purent acquérir des terres en Australie occidentale pour les cultiver, démarche encouragée et facilitée par les autorités, en récompense de leur héroïsme. Cette mise en culture de nouveaux territoires fut une aubaine pour les populations d'émeus, dont le nombre commença à augmenter significativement. A partir de 1923, des primes à l'abattage furent alloués aux soldats/fermiers. La crise de 1929 provoqua la chute des cours du blé, et le gouvernement australien fut incapable, malgré ses promesses, de subventionner les activités de ce secteur. Les fermiers décidèrent alors de ne pas livrer le blé.  Les tensions atteignirent leur paroxysme à l'automne 1932, quand 20 000 émeus vinrent dévorer le blé. La suite bascule alors dans le grotesque... Voir par exemple :  : "'Feathered foes': soldier settlers and Western Australia's 'Emu War' of 1932". Journal of Australian Studies30 (88): 147–157

Bruno Fuligni, Bruno Leandri. Les guerres stupides de l'Histoire. 272 pages. 20 mars 2019. Editions Les Arènes.

Les émeus sont les plus grands oiseaux coureurs au monde, à l'exception des autruches. Ils sont endémiques d'Australie. Voici un nid, un oeuf vert foncé, un poussin.

 

 

 

Dans un clin d'oeil appuyé aux vétérans, le ministre de la défense, Sir George Pearce, annonça que les autorités allaient mener une guerre contre les émeus, sur une base d'organisation militaire évoquant celle des troupes anglo-australiennes lors du premier conflit mondial.

Pearce avait déjà été ministre de la défense de 1908 à 1909, 1910 à 1913, 1914 à 1921. Renommé à ce poste en 1932, il allait y rester jusqu'en 1934. 

La guerre fut conduite sous le commandement du Major G.P.W. Meredith. On utilisa prioritairement les mitrailleuses Lewis :

Mais leur efficacité fut faible, car les adversaires n'étaient pas des soldats qui montaient à l'assaut en exposant leurs poitrines aux balles, mais qui s'égayaient dans un nuage de plumes... On décida alors de monter ces armes sur des camions pour atteindre les fuyards... Ceux-ci courant à 55kms/h, ils ne laissaient aucune chance à leurs poursuivants juchés sur des guimbardes sur les pistes cahoteuses de l'outback australien...

Au quatrième jour de "combat", certains observateurs de l'Armée constatèrent que "Les émeus ont prouvé qu'ils n'étaient pas aussi stupides qu'on le considère habituellement. Chaque groupe a son chef, toujours un énorme oiseau à plumes noires, mesurant six pieds de haut, qui veille pendant que ses camarades s'occupent du blé. Au premier signe suspect, il donne le signal et des dizaines de têtes s'étirent hors de la récolte. Quelques oiseaux effrayés, commencent une fuite en avant vers le broussailles, le leader restant toujours jusqu'à ce que ses partisans soient en sécurité"...

"New Strategy In A War On The Emu"Sunday Herald. 5 July 1953. p. 13.

​​​​​​​

Dans son rapport du 8 Novembre, le major Meredith, pour relativiser l'échec, nota que ses forces n'avaient "subi aucune perte"... L'ornitologue Dominic Serventy fit le commentaire suivant : "Les rêves des mitrailleurs se sont rapidement dissipés. Le commandement Emeu ordonna évidemment la tactique de la guérilla et son armée  se divisa bientôt en d'innombrables petites unités qui rendit l'équipement militaire  non rentable. Une armée en échec s'est donc retirée de la zone de combat après environ un mois." "casuariiform". Encyclopædia Britannica. 2009. Retrieved 16 August 2009.

Après le retrait de ses troupes, le Major Meredith magnifia ses adversaires, en les comparant aux Zoulous, insistant sur leur habileté manoeuvrière, même quand ils étaient gravement blessés : "Si nous avions une division comparable à ces oiseaux, elle ferait face à n'importe quelle armée au monde ... Face aux mitrailleuses, ils sont aussi invulnérables que des chars. Ils sont comme des Zoulous que même les balles dum-dum ne peuvent  arrêter." (Les zoulous avaient vaincu les anglais dans le Natal lors de la bataille d'Isandlwana le 22 janvier 1879).

Quand un politicien du parti travailliste de l'Etat de New South Wales a demandé si 'une médaille devait être décernée aux participants à cette guerre , son homologue fédéral australien occidental a déclaré qu'ils devraient pour ce faire aller voir les émeus qui ont« remporté toutes les manches jusqu'à présent".


Une seconde tentative de venir à bout des émeus quelques jours plus tard se solda à nouveau par un échec.

La méthode des primes à l'abattage était beaucoup plus efficace. En 1934, celle - ci entraîna la mort, en 6 mois, de plus de 57 000 émeus... La même année, la demande des fermiers d'une nouvelle intervention de l'armée fut fermement repoussée par les autorités, de même qu'en 1943 et 1948. En 1943, ils demandèrent (en vain) des bombardements aériens avec des bombes légères à bord d'avions qui voleraient lentement au-dessus des troupeaux...  Request to Use Bombs to Kill Emus, The (Adelaide) Mail, (Saturday, 3 July 1943), p.12.

En 1953, il fut décidé la mise en place d'une barrière de protection de 135 miles. New Strategy in a War on the Emu, The (Sydney) Sunday Herald, (Sunday, 5 July 1953), p13.

Ceci évoque la division en deux parties de l'île japonaise de Shodoshima par une barrière de 100kms lors de la période Edo, pour protéger les cultures contre les sangliers, évènement historique dint s'est servi Hayao Miyazaki dans son dessin animé "Mononoke Hime" en 1997...

 

 

Aujourd'hui, les émeus australiens sont plus nombreux qu'avant l'arrivée des européens (leurs effectifs se situaient officiellement entre 630 000 et 725 000 individus dans la première moitié des années 2010 -dernier recensement effectué-), sur un espace entre 4,2 millions de km2 et 6, 7 millions de km2, mais des populations locales sont au bord de l'extinction.  Boles, Walter (6 April 2010). "Emu". Australian Museum.

Et l'émeu est présent sur les armoiries du pays...

 

 

La préhistoire de la guerre. L'émeu occupait une place centrale dans les représentations des aborigènes, qui utilisaient toutes les parties de son corps à différents usages, comme le faisaient les indiens des plaines avec le bison en Amérique du Nord. Les chasseurs "appelaient" les animaux avec cet instrument :

Pour eux, les zones sombres de la Voie Lactée sont constituées par un émeu cosmique géant.

L'arrivée des européens entraîna la disparition de 3 sous - espèces d'émeus de plus petite taille que l'émeu d'Australie : L'émeu de Baudin (sur l'île du Kangourou) l'émeu de l'île du roi (représentés ensemble au Jardin des Plantes en 1804 sur l'illustration ci-dessous) et l'émeu de Tasmanie (illustration suivante) : C., Jouanin (1959), "Les émeus de l'expédition Baudin", L'Oiseau et la Revue Française d'Ornithologie29: 168–201

 

Quelques siècles auparavant, en Nouvelle-Zélande, l'arrivée des maoris avait provoqué l'extinction de 9 espèces de moa, oiseau coureur dont les représentants les plus volumineux atteignaient une hauteur de 3,60m pour une masse de 230kgs.

La disparition de ces gigantesques herbivores provoqua celle de leur prédateur, l'aigle de Haast, vraisemblablement dans la première moitié du XVème siècle. Celui-ci avait un volume de 40% supérieur à celui du plus grand aigle vivant aujourd'hui Pygargue de Steller (Pacifique Nord) :

Les maoris évoquaient un oiseaux géant capable de capturer un homme, qu'ils appelaient le "Pouäkai"...

 

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commentaires

U
Bonsoir,<br /> votre article sur la "Guerre des Emeus" confirme ce que j'avais écrit dans un précédent message en mars dernier, où j'avais relevé une proposition d'abattage (cullings) de baleines à bosse en Australie, défendue par certains dans un but de "régulation" - mais non entérinée par les autorités légales à l'heure actuelle -.<br /> On dirait que c'est une sorte de constante dans l'histoire de l'Australie, un pays qui compte à la fois une population fière de son patrimoine naturel, des spécialistes de la vie sauvage parmi les meilleurs au monde et une posture moralisante souvent affichée dans les conférences internationale, mais qui paradoxalement se laisse aller à des accès de violence aveugle contre sa faune, toutes les espèces un tant soit peu "visibles", natives ou introduites, en ont fait les frais, avec un grand nombre de combats picaresques tournant parfois à la guerre totale, tantôt tragiques et tantôt comiques avec une gamme allant de Goya aux Monty Python, en passant par Cervantès, Rabelais et les Daleks du Dr Who (exterminate ! exterminate !).<br /> Dans les premiers temps cela pouvait s'expliquer dans une logique de colonisation d'espaces vierges et d'appropriation, comme avec l'élimination officielle des Thylacines, accomplie dans les premières décennies du 20ème siècle (et la Guerre des Emeus susévoquée, etc... on pourrait multiplier les exemples).<br /> Aujourd'hui ces campagnes paramilitaires, souvent tout aussi absurdes, ont évolué d'une manière perverse dans une logique de protection écologique, qui touche des espèces exotiques (chevaux, dromadaires, etc...) mais aussi des espèces natives jugées trop nombreuses au moins localement (kangourous, chauves-souris et même les koalas). Il s'agit d'une logique d'autodafé, voire de pensée "magique" avec un intérêt pratique fort douteux : qui croirait à l'utilité d'un objectif symbolique d'éliminer 2 millions de chats à l'échelle du pays, et en jetant des saucisses empoisonnées dans la nature ?<br /> https://www.bfmtv.com/international/le-gouvernement-australien-veut-tuer-2-millions-de-chats-errants-pour-preserver-sa-biodiversite-1681496.html<br /> Note : même si ces opérations ont une utilité dans des environnements restreints où le contrôle des prédateurs invasifs peut être effectif (des petites îles, et à la rigueur des réserves clôturées), l'objectif me semble totalement platonique à l'échelle d'un territoire immense comme celui de l'Australie. Les chats localement éradiqués pourraient revenir ultérieurement, et qui sait si des animaux d'espèces rares n'ingèreront pas les saucisses à la place des chats ?<br /> 3 observations viennent à moi :<br /> - la première est que l'Australie n'a jamais été sérieusement menacée par une autre puissance - mis à part les incursions japonaises de la seconde guerre mondiale, péril réel mais fugace -, aussi les expéditions anti-animaux peuvent-elles jouer une sorte de rôle de substitut.<br /> - la seconde me semble liée au puritanisme protestant qui incline à des postures moralisantes (cas très fréquent dans le monde anglo-saxon) mais aussi à une particularité de la colonisation "à l'australienne" qui s'est faite avec d'anciens bagnards, aux moeurs peu policées, ce qui peut les amener à avoir des opinions très tranchées et peu retenues, incompréhensibles depuis presque partout ailleurs dans le monde.<br /> - la dernière, pour moi la plus importante, est que la quasi-élimination des peuples aborigènes n'a jamais été réellement exorcisée, et continue de hanter l'inconscient du peuple australien. Dans ce contexte, les campagnes d'élimination d'espèces invasives (=NDLR : apportées par les Blancs ou qui ont prospéré suite à la colonisation blanche) sont une sorte de rituel de purification. L'Australie en aura fini avec ces rites mortifères le jour où elle intégrera pleinement la mémoire aborigène dans son histoire. Un parallèle avec d'autres nations historiquement confrontées à ce type de problème (Russie, Etats-Unis, Nouvelle-Zélande par exemple) pourrait être utile : certes les problèmes d'intégration sociale et économique des peuples premiers n'ont pas disparu mais une sorte de modus vivendi et d'acceptation du passé "primitif" a été trouvée. Les Amérindiens et les Maoris ont payé un lourd tribut à la modernité mais ils ont gagné une place parmi les braves (dont ils s'emparent encore aujourd'hui avec fierté, voir par exemple https://www.liberation.fr/planete/2017/08/07/manif-anti-keystone-xl-ce-pipeline-ne-beneficie-ni-aux-gens-du-nebraska-ni-aux-americains_1588551 ou bien le haka, danse guerrière intégrée à l'équipe de rugby des All Blacks). Quant aux Russes, ils ont intégré les peuples tribaux (Finno-Ougriens, Tatars... sans oublier le paganisme des premiers Slaves) comme une composante de leur propre histoire.<br /> Une piste pour l'avenir de l'Australie ?
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