DIKOE POLE, POUR LES GRANDS ANIMAUX SAUVAGES ET CONTRE LE DEREGLEMENT CLIMATIQUE : le Dragon Vert en route vers l'Ouest.
Comme il était prévisible, le Sommet de Lima n'a pas su engager de politique réaliste en matière climatique (voir sur ce blog "Oubli sans absinthe" du 30 Novembre). Seul point véritablement positif mais tragiquement insuffisant, des plantations d'arbres sur une superficie totale de 20 millions d'hectares devraient être effectuées dans 7 pays d'Amérique latine (dont le Brésil ne fait pas partie!).
L'ESSENTIEL EST AILLEURS (UNE FOIS DE PLUS). Depuis deux mois, Sergeï Zimov et son fils Nikolaï, initiateurs de la steppe à mammouths de la station Cherskii en République de Sakha (Yakoutie, extrême - orient russe), ont ouvert un nouvel espace dans la région de Tula, à 250 kms au sud de Moscou, DIKOE POLE. A cette occasion, S.Zimov a mis en ligne un "Wild Field Manifesto", du plus haut intérêt à mon sens, à retrouver, en version anglaise, et en version russe, sur le site du "Pleistocene Park".
SUR LE PLAN CLIMATIQUE. J'échange avec les Zimov depuis 2010. L'an dernier, je leur avais fait parvenir une version russe de "Tigres, retour de la croissance" (doc PDF d'Avril 2013, VF téléchargeable à partir de la page d'accueil de mon site "4 continents pour les tigres"), où je mettais notamment en avant les opportunités potentielles qui s'ouvraient désormais pour des ongulés et leurs prédateurs dans la "Gloubinka" (page 9 du document), immense espace de campagne de la Russie centrale en dépeuplement spectaculaire. Sergeï Zimov estime que cela concerne plusieurs dizaines de millions d'hectares, et que le basculement de terres cultivées en prairie, progressivement jardinée par les ongulés, augmenteraient significativement l'efficacité du sol à capturer et retenir le CO2. Une nouvelle Grande Prairie, comparable à celle ayant existé en Amérique du Nord du 16ème au 19ème siècle, est donc peut être sur le point de voir le jour en Russie. Le "dragon vert " est à nouveau en route pour l'Europe, après l'Asie centrale... Car un paysage évolue potentiellement assez vite. Par exemple, les marais géants de Vassiougan, sur la rive gauche de l'Ob, nés il y a moins de 10 000 ans, n'ont cessé de s'étendre depuis lors, avec une très nette accélération du processus au cours de ces derniers siècles. Ainsi, ils occupaient moins de 15 000 km2 au début du 16ème siècle, et 53 000 aujourd'hui, abritant 800 000 lacs et offrant leurs sources à 22 rivières... De plus, dans les zones septentrionales de l'extrême orient russe, la fragilisation du permafrost par le réchauffement climatique global nécessite également une forte présence d'animaux sauvages qui, dans un rapport fin d'équilibration des différentes essences végétales, favorisent celles les mieux à mêmes de fixer le carbone et donc d'éviter un effondrement de l'écosystème. La prairie froide retient 3 fois plus le CO2 que la forêt... Sur les connections entre climat et grands acteurs de la faune sauvage, voir aussi "Du saumon, de l'abeille et du loup" par Antoine Nochy et Jean Jacques Blanchon, dans la Billebaude n° 5 du 11 décembre.
SUR LE PLAN CIVILISATIONNEL. A la fin du dernier épisode glaciaire, les zones prairiales sont bien plus importantes que les zones forestières. Elles "produisent" 1,6 milliard de tonnes d'ongulés, régulés par des prédateurs 100 fois moins nombreux. Chose évidente qui l'est encore plus quand on la rappelle, l'ensemble du système fonctionne à l'énergie solaire, sur des bases stables et durables. En effet, les prédateurs sont avant tout des protecteurs d'une merveilleuse efficience, non seulement parce qu'ils préservent les herbivores des épidémies, mais d'abord et avant tout parce qu'ils FONT TERRITOIRE, qu'ils ORGANISENT LEUR "CHEZ SOI" en responsabilité : les tigres, léopards, loups rouges et gris de la steppe utilisent 99% de leur temps actif à défendre leur territoire contre d'autres prédateurs, et du même coup PROTEGENT ses habitants de la manière la plus efficace. Les communautés humaines, au sein de cet assemblage écologique, consomment essentiellement des bulbes racinaires et des restes d'animaux morts. Par ailleurs, leurs caractéristiques physiologiques et comportementales leur permettent de digérer une PLUS LARGE GAMME de végétaux que les ongulés, et leur permettent d'accéder PLUS FACILEMENT que les carnivores à la moelle des os épais.
REVOLUTION ET DICTATURE DU PROLETARIAT. Zimov explique clairement, quand la démographie et le comportement des hommes évolue, la rupture totale avec le passé : ces "damnés de la Terre", désormais nouveaux "maîtres", ne le sont pas en réalité : ils NE SONT PAS des prédateurs, parce qu'ils NE SAVENT PAS faire territoire, et ne s'en sentent en aucune façon responsables (ce qui impliquera ultérieurement une version particulièrement perverse, dans sa réalité et son contenu, du "droit de propriété...). Les prédateurs sont exterminés, de même que la plupart des ongulés, et la prairie elle même, à l'exception de certaines essences végétales et animales "favorisées" à outrance pour consommation. C'est La destruction du Monde Ancien : "Du Passé, faisons table rase..." L'auteur souligne à quel point, concernant les grands prédateurs en Europe, l 'éradication du lion dès l'Antiquité, puis celle du tigre et du guépard au Moyen - Âge, constituèrent de funestes aberrations... Le bilan actuel de cette politique (en regard à celle de la fin de l'ère paléolithique, décrite plus haut) consiste en une "production" d'ongulés domestiques sur des bases instables et non durables de déminéralisation radicales des sols, alors même qu'elle est DEUX FOIS PLUS FAIBLE que celle des ongulés sauvages de jadis...
EN CONCLUSION PERSONNELLE : je ne saurai trop insister sur l'importance de l'évolution des représentations, et la dynamique qui facilite celle - ci. Comment se sentir, en effet, vraiment responsable, si ce n'est dans l'appropriation authentique d'un "chez soi" à travers la Révélation de la Beauté (où l'Esthétique permet l'Ethique, où Nietzsche rejoint Dostoïevski) ? Réhabiller et soigner concrètement le Monde est UN PREALABLE à son réenchantement, protéger et renforcer sa diversité, c'est dépasser la lobotomie civilisationnelle que nous nous sommes infligée en profanant la Terre Mère. Au Moyen - Âge, les Slaves orientaux avaient intégré à leur mythologie le Tigre, et même, en toute première place, une forme survivante de rhinocéros laineux (Elasmotherium / "Edinor"), dans la prairie entre Dniepr et Volga, auquel ils attribuaient toutes les vertus cardinales. Ils savaient que "Behemoth" est le plus sûr résoluteur...