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30 mars 2015 1 30 /03 /mars /2015 08:21

COSMOLOGIE, COSMOPHANIE : quelques animaux sacrés dans les représentations du pouvoir et des rapports entre sédentaires et nomades chez les anciens slaves, qui éclairent présent et avenir : ours, rhinocéros, esturgeon, simargl’, tigre. CADRE GENERAL. La figure emblématique du pouvoir légitime des Slaves est empruntée aux Scythes. C’est le draconicide igné solaire, libérateur des eaux (Cornillot 1994 & 1998, Galezowski 2008). Avatar du Dieu Indra (Inde du Nord), il est figuré soit comme un cavalier sur un cheval blanc, soit le cheval lui –même. Animal sacré dans la civilisation indienne, étroitement lié au roi dont il est le double, le cheval blanc subit le sacrifice le plus complexe dans l’histoire du monde, tel que décrit dans le Mahabarata (pour accès facile et illustratif, voir Calasso 1996). C’est Kalki, un cavalier chevauchant cet animal, qui doit mettre fin au Kali Yuga, le cycle historique actuel. Du draconicide Scythe découle Svarog, le Soleil slave resplendissant, qui triomphe du dragon Zmeï. En Russie, Saint Georges est représenté en cavalier draconicide. Sa monture est blanche. Mais le chevalier serbe Milos Obilic, héros de la bataille de Kosovo Polje où il parvint à tuer le sultan Murat au prix de sa vie, est présenté dans un poème épique comme le fils du dragon. Au moins une dizaine de héros serbes se voient attribuer cette filiation. A travers l’Ordre du Dragon de St Georges, l’animal démoniaque devient lui même un protecteur de la chrétienté contre l’islam ottoman. Les chevaliers de l’Ordre de St Georges ont constitué la garde rapprochée du Tsar jusqu’à la révolution de 1917. Dans le film « Andreï Roublev » du cinéaste Andreï Tarkovski, un cheval chutant d’un escalier, transpercé par une lance, et une vache en feu (donc ignée) illustrent le chaos politique et moral d’une cité russe détruite par un imposteur à la tête d’une bande de tatars. A l’inverse, quatre chevaux gambadant sous la pluie accompagnent les icônes de l’artiste lors de l’Epilogue, après la rédemption de celui – ci, qui s’apparente à une véritable résurrection, à la fois spirituelle et artistique. Pendant au moins 11 siècles, du 6ème avec les Avars, jusqu’aux Khans de Crimée au 17ème , les relations entre les peuples nomades de la steppe et les slaves sédentaires ont été majoritairement celles d’une pression des premiers sur les seconds. Celle – ci était vécue par les assaillants comme une activité de capture pour la constitution d’un cheptel (Gengis Khan évoque les « peuples patrimoine » qu’il offre à ses fils – dans Lebedynsky 2013 -). Les victimes la percevaient comme un rapport de proie à prédateur. Bien après la fin du « joug tatar », Moscou fut détruite en 1571 par le khanat de Crimée, entraînant la mort de 80 000 personnes et la capture de 150 000, lors d’une invasion destinée à l’annexion totale de la Moscovie d’Ivan le Terrible. La dernière invasion du pays par ce khanat eut lieu en 1688…

ANIMAUX PORTEURS DES REPRESENTATIONS DES SLAVES ANCIENS .

L’OURS. Etres humains et plantigrades entretiennent une relation particulière depuis des dizaines de milliers d’années. Un chercheur russe a même émis l’hypothèse que le culte des ancêtres était pratiqué par les ours antérieurement aux hommes ( dans Jadrincev ). L’animal occupe la même niche écologique forestière que celle des premiers slaves, baltes et finnois. Homme et ours mangent les mêmes produits, poisson, miel, baies (Arrignon 2003). L’animal est considéré comme l’ancêtre tutélaire de la communauté. C’est un esprit céleste et protecteur. Dans le golfe de Finlande, des cérémonies lui sont dédiées où son crâne est placé à la cime d’un pin, au moins jusqu’au XIVème siècle. Sur l’Ob, c’est un protecteur des communautés et un libérateur des eaux (Rouguine 2008). Le sentiment de parenté des slaves orientaux avec cet animal n’a jamais cessé. Les conflits opposant l’Empire tsariste à l’Empire ottoman étaient ceux de «l’ours russe contre le tigre turc" (dans la bouche des diplomates).

LE RHINOCEROS. A priori, il peut sembler particulièrement farfelu d’intégrer cet animal dans un tel sujet. Et de lui offrir une place de choix dans le dispositif, qui plus est. En effet, les seuls rhinocéros eurasiens actuels vivent en Asie du Sud – Est. D’autres espèces, présentes sur l’ensemble du continent eurasien à l’époque paléolithique, se sont officiellement éteintes il y a des milliers d’années. La réalité est bien différente. Parmi des ballades probablement en lien avec Novgorod la Grande, et indépendantes des cinq Chroniques de cette cité, le « livre des profondeurs » (Glubinnaia kniga) évoque un monstre bienfaiteur : Indrik (appelé aussi, parfois, Indra, Beloiandrikh, Kondryk, Edinrog,  Edinor). Il est la Force de Vérité etde Droiture. Il combat « les lions », creuse des puits avec son immense corne frontale et sauve le monde de la sécheresse (Russell 2009). Il correspond donc parfaitement au combattant libérateur des eaux, aussi bien dans son comportement que dans son nom. Celui ci évoque l’indien Indra, dont le draconicide est un avatar scythe, mais signifie précisément « une seule corne » (Russell 2009). Selon les cas, il est représenté avec le corps d’une chèvre ou d’un cheval. Il est à la fois le père et la mère de tous les autres animaux, à qui ceux ci doivent rendre des comptes. Le rhinocéros laineux européen du puits de la grotte Lascaux (Dordogne, France) était déjà une figuration du principe paternel, selon Picard (2003). Fonctionnellement, il est un véritable « Behemoth » (« bête – monde ») septentrional. La présence de descendants d’une ou plusieurs espèces de rhinocéros au Moyen Âge est crédible (Planhol 2004), dans les zones steppiques d'Europe orientale. Au 10ème siècle, Ibn Fadlan en fait une description précise et détaillée (voir le texte intégral dans Ibn Fadlan & Frye 2005). Beaucoup plus récemment, lors de l’hiver 1560, particulièrement rigoureux, il semble que plusieurs de ces animaux aient été découverts parmi les nombreuses bêtes mortes de froid dans les steppes d’Otchakov et de Savran (dans l’actuelle Ukraine méridionale, côte Nord Ouest de la mer noire) (Broniovius 1630, Kirikov 1955). Il est possible que les derniers représentants de l'espèce aient disparu au temps des troubles (début du XVIIème siècle), en même temps que les derniers tigres volgiens, les cornes des uns et les peaux des autres étant exportées en Europe occidentale via la "Novgorod orientale" : le comptoir de Mangazeïa, en Sibérie du sud - ouest. De qui descendent ces « fossiles vivants » ? (Planhol 2004 ). Ce ne sont pas des rhinocéros laineux du type de celui de Lascaux (Coelodonta antiquitatis). Il s’agirait plutôt d’ animaux du genre Elasmotherium, qui possédaient une gigantesque et unique corne frontale. Deux espèces peuvent être concernées ici, et de façon non exclusive. Elasmotherium caucasicus, semi aquatique, est peut être l’une des figures originelles d’Indrik libérateur des eaux, tout comme l’hippopotame pour Behemoth. Elasmotherium sibiricum, beaucoup plus massif et velu, également présent en Europe orientale, avait une aire de répartition beaucoup plus vaste, jusqu’à la Yakoutie, et comparable, en cela, à celle de l’aurochs. Il exprime toute la puissance du combattant titanesque. Parfois victime du tigre, l’Elasmotherium préfigure le Grand Prince Slave libérateur des eaux, proie potentielle puissante et dangereuse pour les razzieurs nomades. L’aurochs Bos primigenus (dont les troupeaux, au Moyen Âge, régulent les populations de tigres, et non l’inverse) et le sanglier géant Sus scrofa attila, lui sont assimilés. D’autre part, le « rhinocéros – monde » conflue, dans les représentations, avec le cheval solaire. Notons ici que rhinocéros et cheval sont les seuls membres, aux côtés du tapir, du groupe des ongulés périssodactyles :. Ils sont donc très proches, sur le plan taxonomique. Celui - ci est ensuite assimilé à son cavalier protecteur, qui combat le tigre dans un conflit entre pasteurs dont l’enjeu est la maitrise des troupeaux de chevaux sauvages, capturés vivants par le Grand Prince en vue d'un dressage ultérieur, dévorés par le tigre (Sennepin 2013). Certains contes russes évoquent même la capture précautionneuse de "l'auroch bai", la "bête féroce" (le tigre) et le "sanglier sauvage" par les bogatyrs qui ramènent ces animaux vivants à Kiev auprès du Grand Prince...

Enfin, on ne peut exclure l'existence d'un rhinocéros pontocaspien, survivant tardif des rhinocéros "chinois" (et probablement eurasiens du Fleuve Jaune au Danube) massivement présents en Chine du Nord jusqu'au IIème millénaire avant notre ère, et qui aurait survécu et même prospéré plus à l'ouest (au moins jusqu'à l'optimum climatique médiéval, entre le Xème et le XIVème siècle) dans des milieux qui restèrent longtemps fort peu anthropisés. Ce rhinocéros européen des temps médiévaux serait alors au Rhinocéros "de Sumatra" (dominant en Chine pendant des millénaires) ce que le tigre européen est à celui de l'Amour : une variété géographique isolée secondairement de ses congénères orientaux.

Avatars historiques possibles. 1. L’aurochs : en 1361, le prince transsylvain Dragos est entraîné par son gibier, lors d’une chasse à l’aurochs, jusqu’en Moldavie où il fonde son royaume. 2. Le sanglier. Celui - ci est étroitement associé au chêne. Le culte de Perun (Dieu slave de l'orage, comparable au Zeus grec) s'exprime fréquemment à travers la vénération d'un chêne gigantesque et aux formes atypiques où sont encastrés, à une hauteur bien définie, plusieurs (neuf pour un tronc découvert dans le lit du Dniepr en 1975) maxillaires inférieurs de sanglier (voir les travaux de Francis Conte sur l'héritage païen chez les Slaves). Comme l'Aurochs, le sanglier est une proie préférentielle du tigre comme du Grand Prince kiévien. Ces animaux pouvaient (et peuvent encore,voir Sputnik.fr du 23 novembre 2015) excéder une demi tonne. Question subsidiaire : antérieurement, ou dans le même temps mais dans des régions différentes, un culte était -il rendu à une divinité ancienne associant un chêne et des cornes de rhinocéros? 3. Le libérateur de Kiev. En 1362, la capitale de la Russie ancienne est libérée du « joug tatar » par le Grand Prince lituanien Algirdas lors de la bataille des Eaux Bleues. Tchernigov avait été libérée auparavant par ses soins. 4. La baleine blanche Beluga. Le "cheval blanc", "troisième compagnon" fondateur du monastère des Solovki en 1436, est parfois considéré comme un beluga nouveau - né :

http://www.helsinki.fi/~lauhakan/whale/petroglyph/whitesea/whitehor.html

Déclinaison possible en Europe de l’ouest : Animal « aux 5 couleurs » en Asie centrale (Sinon 1960), Elasmotherium évoque la « Pan – Thera » (« bête des bêtes ») des bestiaires du moyen – âge occidental, au pelage tâcheté des couleurs de l’arc – en – ciel, homologue du Behemoth comme animal – monde (Sennepin 2013). Le libérateur des eaux slave peut aussi être, parfois, un inondeur. C’est aussi le cas, dans la mythologie d’extrême occident, d’un « Behemoth négatif », un monstre aquatique velu appelé Afang Du (« le castor noir ») (Markale 1969). Par ailleurs, selon le mythe européen de la licorne, cet animal indomptable, qui ravage le pays et provoque aussi des inondations, ne peut être arrêté que par une jeune femme, qui découvre sa poitrine devant lui. L’animal pose délicatement sa tête sur celle – ci, en signe de soumission. La culture de l’amour courtois associe évidemment le chevalier fougueux à la licorne. Abélard signait certaines de ses lettres à Héloïse « Rhinoceros indomitus » (le rhinocéros (licorne) indompté(e) - Clanchy 1997 -). La mutation secondaire du monstrueux « castor noir » en une belle licorne blanche est homologue à celle de l’Elasmotherium Indrik / Edinor en cheval solaire. La « Dame à la Licorne » a donc aussi les traits de la protectrice de Tchernigov, parèdre du draconicide kiévien (voir Sennepin 2013). Au XIXème siècle, le cachalot Mocha Dick prolonge Edinor. Par son volume, son comportement, sa blancheur, sa corne frontale "bosse pyramidale", il est la licorne ultime qui ferme le cycle historique ouvert par Indrik (Blog du 18 janvier : "Epopée salvatrice").

L’ESTURGEON : l’esturgeon géant est historiquement l’animal clef de voûte de l’économie de l’espace slave, du Dniepr à la Volga. Dans la région de Rybynsk, certains individus atteignaient des proportions colossales, comparables à celles des plus grands poissons marins actuels. Il est l’ancêtre tutélaire des premiers slaves (Cornillot 1998), personnalisé sous le nom de Kara. Il est une sorte de « Leviathan du Nord », déclinaison aquatique du « Behemoth » Indrik . Les légendes d’esturgeons titanesques inondeurs abondent de l’Ob (Sibérie) à la Gironde (France).

LES TROIS MONDES DES SLAVES ANCIENS. L’ours céleste, le rhinocéros / cheval solaire , ainsi que l’esturgeon aquatique et chthonien, sont les 3 ancêtres des Slaves, maîtres respectifs de chacun des 3 espaces qui structurent l’Univers. Comme Moby Dick prolonge Edinor, le "poisson - baleine", porteur de villages et de territoires, popularisé dans les contes de Piotr Erchov au XIXème siècle, est à la fois un avatar du celui - ci et de l'Esturgeon géant, et apparaît comme la cosmophanie d'une île, d'une cité, voire d'une arche, un espace sacral et sanctuarisant (voir sur ce blog, le 23 mars : "Adieu à l'île").

Les Slaves intègrent également à leur panthéon d’animaux sacrés deux entités du monde nomade : le Simargl’ et le Tigre.

LE SIMARGL’ : Organisme chimérique ailé gigantesque, il est la seule des entités présentées ici qui n’ait pas d’expression biologique réelle dans la Russie médiévale. Il est directement issu du Semourgh d’Asie centrale, équivalent du Phoenix chinois, du Garuda indien, de l’oiseau Rokh moyen oriental et du griffon occidental. Celui - ci est le protecteur du représentant du pouvoir légitime, dans de nombreux contes. Il est le frère du tigre, et même son double sur les portes des madrasas du Régistan de Samarkand d’une part, de Boukhara d’autre part (Sennepin 2013). Le Simargl’ slave est dans une situation un peu différente. Il devient l’auxiliaire du libérateur des eaux à Kiev, alors que le tigre est le partenaire de la parèdre de celui – ci à Tchernigov (Galezowski, communication personnelle 2011). Il est habituellement représenté sous la forme d’un chien ailé, mais peut l’être aussi sous celle d’un tigre ailé (Arrignon 2003). Les semourghs prédateurs de la porte de la madrasa Divan Begi à Boukhara sont, quasiment à l’identique, des paons, sur le trône du même nom de l’indien moghol Shah – Jahan. Le Simargl’ connaît sa déclinaison symbolique la plus célèbre dans l’aigle bicéphale russe. Avatars historiques possibles : Protecteur dominant : la Horde d’or, à l’ombre de laquelle la Russie se structure, ce qu’elle n’avait pu réaliser auparavant, autour de l’Eglise orthodoxe, bénéficiant pour ce faire de la Pax Mongolica, après avoir repoussé le danger catholique romain germanique avec l’aide précieuse de son suzerain oriental (Arrignon 2003, Lebedynsky 2013). Protecteurs auxiliaires : les cosaques. Déclinaisons culturelles : L’oiseau de feu, le cygne blanc.

LE TIGRE. Essentiellement lié, historiquement, à la civilisation nomade, il est souvent perçu par les Slaves comme un antagoniste, contrairement à son frère Simargl ‘. Sa proie la plus fréquente est le cheval sauvage, la seconde est l’aurochs. Or, ces deux animaux renvoient à deux figures fondamentales (et intimement liées) de la représentation du pouvoir légitime chez les anciens slaves : le rhinocéros Indrik / Edinor et le cheval solaire. Le tigre est le compétiteur direct du Grand Prince kiévien, captureur de chevaux et chasseur d’aurochs, dont le représentant le plus emblématique à cet égard, Vladimir Monomaque, se fait appeler Vladimir le Blanc. Comme le cheval est une déclinaison du rhinocéros, le "loup féroce" des contes de Piotr Erchov, ami, conseiller et protecteur du tsarévitch Ivan, est une déclinaison de la "Bête féroce" mentionnée par Vladimir Monomaque dans ses "Instructions", et que Vladimir Heptner (1969) identifia comme étant un tigre. Sa figuration mythologique la plus occidentale est celle du Dieu Radgost, en Moravie et Silésie (République tchèque). La ville de Retre y hébergeait un temple en son honneur jusqu'à la deuxième moitié du XIème siècle. Le tigre se maintient (au moins) jusqu'au 12ème siècle dans le golfe de Finlande, et au début du XVIème dans les marais de Polésie. Les peaux des derniers spécimens présents dans l'estuaire et sur le cours inférieur de la Volga sont probablement envoyés en Europe occidentale via le comptoir sibérien de Mangazeïa lors du Temps des Troubles, au début du XVIIème siècle. Après la disparition progressive de toute forme d’autonomie effective pour les cosaques (Lebedynsky 2004), puis l’annexion du khanat de Crimée par la Russie en 1783, et enfin les destructions physiques simultanées d’une partie significative de la population kazakhe entre 1929 et 1931 (soit la population nomade numériquement la plus importante au monde jusqu’à cette date), de la quasi totalité de son cheptel équin, et de milliers de tigres dans les roselières environnantes, la Russie est amenée à réorganiser les représentations de son Histoire dans son ensemble, et donc à réaménager ses mythes fondateurs. L’érection de facto du Tigre (image historique de l’antagonisme le plus radical) comme emblème national de la Russie (Sennepin 2013) à égalité avec l’Ours (image historique de la symbiose endogène) en constitue, semble t-il, un puissant signal, tant sa charge symbolique est importante : c’est un nouvel « aigle » bicéphale qui est en train de naître.

TIGRE EUROPEEN : QUI TIRE LE CHAR DE FREYJA ? Le char céleste de la déesse germano - scandinave est tiré par deux "chats", "TENDRESSE" et "AMOUR MATERNEL" aussi volumineux que des lions, et tellement lourds que Thor lui - même ne parvient pas à les soulever. Le "champ d'action" de la divinité coïncide avec l'aire d'influence viking, qui va jusqu'au golfe de Finlande, à la péninsule de Kola et Novgorod... Clin d'oeil, énigme, étrangeté, parallélisme culturel? Le Shanshui chinois, perception du paysage, fait de la montagne le lieu des génies (chimei). Par monts vont les chi, qui prennent l'apparence de tigres, par vaux vont les mei, qui prennent l'apparence de sangliers (Berque 2012). Freyja utilise volontiers comme monture Hildisvini, le sanglier combattant. Celui - ci serait il son "mei" terrestre, et ses "chats" ses "chi" célestes?

BEHEMOTH, L'ETRANGE PEREGRIN. Une tigrification blottie dans la gueule du temps. Comme nous l'avons vu plus haut, Edinor / Indrik, le rhinocéros velu, véritable Behemoth du Nord (et authentique "Jardinier d'Otchakov" avant la lettre!), s'évapore vraisemblablement avec les derniers tigres volgiens dans le chaos du Temps des Troubles, pendant lequel la Russie est dépecée et vendue à l'encan. Il resurgit au XIXème siècle dans les mers du Sud sous les traits du cachalot Mocha Dick, "gentleman courageux, rayé, tâcheté et marbré", exactement comme un tigre (Epopée salvatrice, blog du 18 janvier 2015). Magnifié et même cosmisé dans "Moby Dick" par Herman Melville, il apparaît au fond de l'eau comme "une tache vivante blanche, pas plus grande qu'une belette, s'élevant avec une célérité merveilleuse". Quelques instants plus tard, il devient un immense fécondateur du ciel à l'assaut duquel il se lance "comme un saumon", les vagues figurant "sa crinière", visible à plus de 11kms de distance... L'ensemble a une dimension authentiquement sismique, que l'on retrouve à l'identique dans "The Tiger", le livre qu'a écrit John Vaillant en 2010 pour décrire les évènements tragiques et stupéfiants qui se sont produits en décembre 1997 dans la Province maritime de l'Orient russe ("L'Amour est éternel", troisième partie: Approche magico - religieuse et implication d'un "chi" caché derrière le "mei" Nago d'Hayao Miyazaki, blog du 17 février 2015 ). L'animal semble surgir des entrailles du sol, les impacts acoustiques et visuels de sa surrection sont vécus comme un tremblement de Terre, il s'identifie à l'Egoule, monstre mythique si énorme que l'on peut construire une demeure avec sa peau et ses os, comme les bisons, mammouths et baleines... Il a la tête "grosse comme la Lune", et absorbe "les balles comme Moby Dick les harpons"... Entre 1927 et 1939, dans "Le Maître et Marguerite", écrit en pleine terreur stalinienne, Boulgakov, malade et désespéré, avait inventé un "Behemoth" luciférien, nom dont était affublé un immense chat noir auxiliaire du Diable, avec lequel il finira par mettre le feu à Moscou, évènement dont la dimension heureuse est perceptible. En 1997, quelques mois avant "les évènements de Décembre" décrits par Vaillant, H. Miyazaki évoque "L'esprit vengeur" et "le destin du monde qui repose sur le courage d'un seul guerrier" A la fin de la même année, "Behemoth" resurgit en robe héraldique, et sauve la Russie... (Blog du 17 février, "L'Amour est éternel", Approche magico - religieuse). Un pays cristallise ses saints comme une montagne ses diamants...

BIBLIOGRAPHIE Arrignon (J.P). 2003. La Russie Médiévale. Collection : Guide des Civilisations. Editions Belles Lettres.

Berque (A). 2012. Das aguas da montanha à paisagem, dans Adriana Verrisimo Serrao (dir). Filosofia e arquitectura da paisagem (Centro de filosofia da Univzrsidade de Lisboa), 95 - 103.

Boulgakov (M). Le Maître et Marguerite. 1927 /1939. Dernières corrections 13 février 1940. Publication intégrale en URSS en 1973. Version française eds Pocket, 1er mars 2003. Broniovius (M). 1630. Martini Broniovii de Biezdzfedea, ad tartarum Legati, Tartaria. Dans Russia seu Moscovia itemque Tartaria, Leyde (ex officina Elzeviriana). Calasso (R). 1996. Ka. Adelphi Edizioni, Milano. Edition française : 2000. Traduit de l’italien par Jean – Paul Manganaro. Editions Gallimard. Clanchy (M). 1997. Abelard : A Medieval Life. Blackwell Publishers. Cornillot (F). 1994. L’Aube Scythique du Monde Slave. Slovo 14, 77 – 260. Cornillot (F). 1998. Le Feu des Scythes et le Prince des Slaves. Slovo 20 / 21, 27 – 128. Galezowski (A). 2008. L’influence des mythes scythes sur les mythologies slaves et baltes à travers les deux exemples du Simargl’ et des gardiennes de l’eau et du feu sacré. Coll. Int. « Mythes et mythologies ». Amiens (France), 6 – 8 mars 2008. Galezowski (A). 2011. Communication personnelle, 27 juin 2011. Ibn – Fadlan (A), Frye (R.N). 2005. Ibn Fadlan’s journey to Russia. A tenth century traveller from Baghdad to the Volga River. Princeton. Markus Wiener Publishers.

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http://chinese-unicorn.com

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