Repoussées par les nord-coréens en 2016, les propositions russes de définition d'un espace commun transfrontalier russo - sino - coréen pour le tigre de l'Amour peut désormais prendre corps, à la lumière de l'actuel renforcement des échanges diplomatiques dans la région.
Le Goryeobeom (tigre des neiges), figure symbolique et fédératrice de la Corée, put s'épanouir dans la péninsule au cours des années 1880 - 1910, alors qu'il était exterminé en Mandchourie sous une dictature mafieuse de trafiquants chinois (les "bandits" houndouzes) qui mit à mal les ressources précieuses de la région. La Corée septentrionale servit alors de refuge aux grands félins survivants en fuite.
Lors de la décennie 1910, la situation commença à s'inverser. Vladimir Arseniev et ses troupes spéciales mirent fin à la dictature des houndouzes. Des membres de cette communauté (parmi leurs innombrables déprédations) avaient tué, à la mi-mars 1908, Dersou Ouzala, le chasseur nanaï rencontré par Arseniev dans la soirée du 3 août 1906, et devenu son ami depuis lors...
A la même époque, en Corée, l'occupant japonais cherche à briser les symboles de l'identité coréenne : les montagnes, dans lesquelles sont plantés des piquets de fer comme des harpons dans une baleine, et les tigres, qui font l'objet d'une campagne de destruction systématique (voir le somptueux film "Dae-Ho" sorti dans les salles coréennes le 16 décembre 2015, "Refermer la blessure", mis en ligne sur ce blog le 10 mars 2016). Et voici un épisode de mars 1915 retrouvé et transcrit par Robert Neff : Two Japanese hunters, Yano and Nishikida, from Muan, heard tales of large tigers prowling a nearby mountain. They each armed themselves with rifles and set out in pursuit and were relieved when they soon discovered tiger footprints in the snow. They were extremely large tracks but the men were undaunted and pressed on.
"At about 1 in the afternoon they discovered a tiger creeping along a mountain slope. Yano took aim and fired. The bullet hit the animal, which rolled over, making the snow nearby crimson with blood, and uttered terrible roars. The two hunters at once ran towards the beast to give it the coup de grace, but when they came within twenty yards of it, the beast suddenly rose to its feet and ran away.
"The two hunters hotly pursued it, but were soon outdistanced. They took a rest for a while and were consulting as to what should be done, when all of a sudden the tiger reappeared on a rock scarcely one yard in front of them and pounced on Yano. The man was severely bitten in the right hand, but fortunately he had his loaded rifle in his hand and fired it point blank at the head of the infuriated beast. The bullet entered the brain of the animal through the right eye, and it dropped dead instantly. Yano lost consciousness, but soon recovered, thanks to ministrations of his comrade. The next day they returned home carrying with them their game."
L'occupant s'offre également les services de chasseurs russes efficaces, comme Youri Yankovski, qui ouvrira une véritable "station tigrière" en Corée du Nord -Est ("A russian tigers' hunter in Korea", mis en ligne le 31 août 2012). Voir aussi des éléments additionnels demain 24 juin dans "Le mangeur de tigres".

En politesse rendue, la cordillère inviolée du Sikhote-Aline accueille alors à son bord les orphelins du Paektu martyrisé... Ainsi, le tigre des cavernes, s'échappant toujours de justesse de l'endroit le plus dangereux entre extrême - orient russe, péninsule coréenne et golfe de Bohai chinois, survécut au bruit et à la fureur du XXème siècle, et parvint à subsister jusqu'à nos jours ("L'Amour est éternel" mis en ligne le 17 février 2015, "L'océan des 2500" mis en ligne le 6 mai 2018).
Précarité, sentiments contradictoires. Robert Neff revient sur les relations ambivalentes entre communautés tigréennes et humaines en Corée, en centrant son propos sur la province la plus méridionale de la péninsule, dans The Korea Times", ce jour. "Time of terror : the tigers of Jeolla province."
http://www.koreatimes.co.kr/www/opinion/2018/06/721_251093.html
Une légende de cette région évoque la capture, il y a de nombreux siècles, d'une jeune femme noble par un tigre (jusqu'au milieu des années 20 du siècle dernier, la province était réputée pour les attaques de tigres contre les voyageurs solitaires et les villages isolés). Le prédateur ne la dévora pas mais l'amena saine et sauve au seuil du temple de Bulhoe.

Bien sûr, cette issue fut exceptionnelle. Ordinairement, les choses se passaient de façon beaucoup plus prévisiblement dramatiques. En 1902, sur l'île de Jindo (sud-ouest de la province), les habitants évoquent les ravages d'un tigre immense, vieux de plus de 20 ans, et dont le corps est recouvert de boue et de résine auxquelles les feuilles et l'herbe sont collées. Leurs fusils sont inefficaces contre une telle créature et ils se disent impuissants à s'en délivrer. Il existait sur cet île un type de chien endémique particulièrement réputé pour son aptitude à tuer les grands félins. C'est pourquoi Robert Neff émet l'hypothèse suivante : What became of the great beast is unknown. Perhaps it was killed by a Jindo dog ― a breed of dog native to the island and famed for their legendary prowess in killing tigers.
Lors de l'été 1909, une coréenne de 32 ans fut tuée par un grand tigre près de Namwon. Le 4 mai 1913, un fermier de 21 ans fut blessé à mort près de Soheul (malgré l'intervention des riverains, l'animal s'enfuit avec un morceau de sa victime dans la gueule, et celui - ci ne put pas être réanimé). En 1914, plus de 500 coréens sont morts sous la dent des tigres.
Poison de la haine. En Novembre 1900, le Dr Smith alla à Mokpo à la recherche de tigres mangeurs d'hommes. Il trouva une femelle endormie, ses deux chatons jouant à ses côtés. Après avoir pris une photo de la scène, il tua la tigresse, mais les enfants parvinrent à s'échapper. 15 ans plus tard (au mois de mars), 2 tigres attaquèrent et tuèrent une jeune fille près de Mokpo...
