Ceci fait suite à "Le sel de la vie", mis en ligne le 18 mars 2018.
http://europe-tigre.over-blog.com/2018/03/le-sel-de-la-vie.html
Les mythes égyptiens et subsahariens, l'art de Rubens, Turner, Melville, Giono, et le cachalot combattant de Timor dans sa posture héroïque sont engerbés comme les ocelles d'un serpopard de l'Egypte antique.
Les 2 serpopards de la palette de Narmer (au centre de celle-ci).

EGYPTE ANTIQUE ET AMERIQUE DU XIXème SIECLE : HIPPOPOTAME ET CACHALOT
La victoire d'un hippopotame blanc innommé sur le pharaon Ménès/Min fonde la civilisation égyptienne, comme celle des cachalots de même couleur contre les baleiniers dans la première guerre du Pacifique (5 avril 1820 - 26 janvier 1862) fonde celle des Etats - Unis.

POUR RAPPEL.
Le « Moby Dick » des égyptiens. Achab et Baal / Seth
Les références aux pyramides sont nombreuses dans « Moby-Dick » (l'auteur découvrira celles-ci de visu en 1857 ). Elles sont présentées, au chapitre 1 comme des fournils géants où les pains qui cuisent sont des momies d' hippopotames... Le cachalot blanc est associé aux pyramides à plusieurs reprises, sa bosse est présentée comme pyramidale (ch. 41). Melville imagine un culte à venir du cachalot, apparemment au sein de la civilisation américaine de ses vœux, qui s'avère proche de celle de l'hippopotame chez les égyptiens anciens (ch. 79).
Un volume entier ne serait pas de trop pour illustrer la superposition remarquable des représentations respectives de l'hippopotame et du cachalot dans l'Egypte antique pour le premier, l'Amérique du XIXème siècle pour le second. Indiquons ici simplement que Ménès/Min, qui est considéré comme le premier pharaon, fut tué par un hippopotame blanc après 62 ans de règne, au cours duquel il avait mis en place un culte du crocodile, selon Manéthon.
Des milliers d'années avant la défaite fantôme des baleiniers anglo-américains, , voici une « Première Guerre » perdue, intériorisée par des « Titans » vaincus, mais non dissimulée, celle-ci : la victoire de l'hippopotame est au contraire affichée ostensiblement en tant que mythe fondateur pour cette civilisation.
Par la suite, les représentations du gros mammifère avec un crocodile dans la gueule, ou recouvert d'une peau du saurien, abondent.
Les pharaons ultérieurs sont présentés comme des géants « libérateurs des eaux » à l'instar des quakers exterminateurs des léviathans. C'est notamment le cas d'Oudimou/Den, qui lutte victorieusement, à mains nues, contre le géant aquatique (les deux antagonistes apparaissent comme étant d'un volume similaire).
Oudimou "Horus Den" règne pendant 45 ans. Le culte de Mafdet (déesse combattante, protectrice du souverain) et les rites liés à la chasse à l'hippopotame occupent alors une place spéciale. On retrouve en Afrique de l'Ouest un autre "Oudimou", Faran Maka, géant prédateur / éleveur d'hippopotames, qui peut dévorer l'un de ces animaux en un seul repas et qui connaît chaque membre du troupeau par son nom, associé à une autre Mafdet, une bergère peule, Harrakoi Dikko, qui se réfugie au fond du fleuve Niger et devient maîtresse des animaux aquatiques, et notamment des plus grands (hippopotame, crocodile, lamantin, capitaine, silure...). Le géant est soucieux de préserver les équilibres fondamentaux (il pousse, avec beaucoup de diplomatie, sa fille Nana Miriam, à ne pas exterminer les hippopotames jusqu'au dernier).
Horus Den est aussi un grand conquérant. Sa tombe est une des plus importantes de toute l'architecture sépulcrale égyptienne. Elle est entourée de 136 tombes subsidiaires.
La civilisation égyptienne s'inscrit dans un vaste champ historique, du Sahara « vert » néolithique aux dynasties tardives, où les relations à l'animal ne cessent de fluctuer, évoluent, se retournent.
Par exemple, Ta-Ouret, l'hippopotamesse sacrée, divinité maîtresse du cosmos, est en fait une créature chimérique ou hippopotame, crocodile et lion forment un tout organique, comparable à une symbiose lichénique. Le philistin Dagon (cité par Melville au chapitre 82), homme poisson aux mains palmées, en est sans doute un avatar...
Et si les pharaons prédynastiques et des premières dynasties cherchent à détruire les pachydermes aquatiques, les pharaons tardifs tendent à devenir leurs protecteurs (comme Sekenenrê, par exemple).
Ainsi en ira t-il aussi, du XVIIIème siècle à nos jours à l'égard du cachalot en Nouvelle Angleterre, pour les natifs aquinnahs comme pour les américains d'origine européenne - nonobstant, pour ces derniers, l'escamotage systématique de leur défaite - .
Curieusement, les assyriens consacreront un temple aux cachalots, orné de sculptures monumentales de basalte, après la capture supposée d'un de ces animaux par celui de leurs souverains dont le règne marquera le début de la domination assyrienne sur la région en lieu et place de la suprématie égyptienne.
Dans le roman de Melville, Achab, qui se présente comme un pharaon à plusieurs reprises, porte le nom d'un roi de la Bible dont l'alliance avec la phénicienne Jézabel l'amène à embrasser la religion de son épouse. Il rend donc un culte au dieu Baal. Or, celui ci est l'équivalent levantin de l'égyptien Seth, qui se transforme volontiers en hippopotame pour combattre Horus... « Pharaon » honore ainsi son vainqueur (espièglerie melvillienne?)… La célèbre scène du « serment » sur le gaillard d'arrière (ch.36) se superpose exactement à un rituel d'exécration tels que ceux pratiqués à Edfou à l'encontre de l'hippopotame (Drioton 1948). Franklin (1963) insiste sur le parallèle à établir entre « Moby-Dick » et la lutte entre Osiris et Seth (voir aussi Pritchard 2004, pages 248 & 249).
Drioton (Etienne). 1948. Le texte dramatique d'Edfou. Annales du service des antiquités de l'Egypte 11, 17 – 51.
Franklin (H. Bruce). 1963. The Wake of the Gods : Melville's Mythology. Stanford University Press.
Pritchard (Gregory R.). 2004. Econstruction : The Nature/Culture Opposition in Texts about Whales and Whaling. Thèse de doctorat en philosophie. Faculté des Arts. Université de Deakin (Australie). Mars 2004, 422 pages.
Katrin Schmidt a effectué des recherches remarquables sur la question, montrant le lien ontologique entre les mythes égyptiens et le roman "Moby-Dick". Dans son travail extrêmement fouillé, argumenté et approfondi, des personnages clefs du roman de Melville (Moby Dick, Achab, Ishmael, Queequeg, Fedallah) y font l'objet, de façon systématique, d'une identification, pour chacun d'eux, avec un ou plusieurs équivalent(s) fonctionnel(s) des mythes égyptiens).
Schmidt (Katrin). 2010 (22 février). Altägyptische Motive in Herman Melvilles Moby-Dick : Eine textkronologische Analyze. Books on demand gmbH . 109 pages (sans la bibliographie).

Presque exactement 5000 ans séparent l'éveil de la culture égyptienne antique vers 3100 av. J.C. et la publication de Moby-Dick de Herman Melville en 1851. L'auteur montre en détail et systématiquement l'importance considérable de la culture pharaonique pour le travail de Melville . Moby-Dick a plus à offrir que des références isolées aux pyramides ou au complexe du temple de Dendérah: La mythologie, la littérature et la culture de l'Égypte ancienne éclairent le chef-d'œuvre mythique de Melville et la lutte entre le capitaine des ténèbres Achab et la baleine blanche dans toute sa puissance signifiante, structurée en images multicouches. Une abondance inattendue de références se déploie, ce qui permet une compréhension complètement nouvelle de ce classique de la littérature mondiale.
En raison de l'agencement chronologique du texte semblable à un lexique, le livre de Katrin Smith est un véritable ouvrage de référence et aide à l'interprétation, et un guide de lecture pour tout lecteur intéressé par les références mythologiques.
Schmidt (Katrin). 2010 (2 Juin). Melville's Moby-Dick als altägyptische Seelenreise. (Voir par exemple les tableaux comparatifs pages 198-200 : rites de découpage du gateau...). Books on demand gmbH. 436 pages.

À l'époque littéraire de la Renaissance américaine, à l'apogée de l'Égyptomanie au XIXe siècle, Herman Melville publie Moby-Dick en 1851. Typique de l'époque, le texte de Melville contient donc des références concrètes à la religion, la mythologie et la culture de l'Égypte ancienne. Comme le montre ce livre, l'importance de ces références dans Moby-Dick s'avère être d'une portée extraordinaire et particulièrement significative. Katrin Schmidt, américaine et égyptologue, montre précisément et en détail à quel point l'influence des motifs égyptiens antiques sur Moby-Dick est réelle et comment les nombreuses analogies créent leur propre sous-texte qui permet au chef-d'œuvre de Melville d'être entièrement lu et interprété dans ce contexte. En relation avec le concept d'archétypes ( "archétypes" de l'inconscient humain), qui a été établi en psychologie, une compréhension complètement nouvelle de ce classique de la littérature mondiale émerge, que l'auteur développe de manière convaincante S'appuyant sur l'espace et le temps, l'auteur, sur la base de son analyse précédemment publiée "Motifs égyptiens antiques dans Moby-Dick d'Herman Melville" [ "Altägyptische Motive in Herman Melvilles Moby-Dick"], détermine la signification de ce motif, que l'on retrouve dans tout le texte, en comparant systématiquement le texte de Melville avec des sources égyptiennes anciennes. Il montre clairement comment la pensée mythique et surtout l'ancienne Égypte façonnent le contenu et la structure de Moby-Dick.
Par ailleurs, longtemps avant les têtes du cachalot et de la baleine franche attachés au flanc du Pequod, une barque solaire enterrée près de la pyramide de Khefren, contenait un crâne d'hippopotame. Découverte réalisée par le Professeur Selim Hassan en 1935 :
http://karlshuker.blogspot.com/2020/04/the-beast-in-boat-still-no-further.html
Représentation d'une barque solaire :

RUBENS ET TURNER : L'HISTOIRE CONTINUE.
Au cours des premières décennies du XVIIème siècle, Pierre-Paul Rubens illustre des animaux dans une posture héroïque : il réalise plusieurs tableaux entièrement dédiés au thème de la chasse (notamment : loup et renard 1605, puis au cours de la décennie suivante : tigre, lion et léopard ("La chasse au tigre", sanglier, lion...). Or, pour la composition de chacun de ces tableaux, Rubens ne s'inspire pas de scènes de chasse, mais de guerre. Il se réfère à une oeuvre de Leonard de Vinci réalisée entre 1504 et 1506, qui illustre la bataille d'Anghiari Doria. Celle-ci opposa les Milanais et les Florentins le 29 juin 1440, et fut l'épisode final d'un conflit entre les deux cités Il assura l'indépendance totale de Florence.
A chaque fois, le combat s'exprime en un tourbillon / maelström :

Les animaux sont des héros combattants, et non des victimes, contrairement à l'art japonais ou la mise à mort de la baleine s'apparente plus à un sacrifice qu' à un combat, avec un animal victime, passif et résigné :

L'un des tableaux de Rubens : "La chasse à l'hippopotame et au crocodile" montre le grand mammifère aquatique comme moyeu central ("goutte noire" dirait Melville...) du combat tourbillonnant :

Il produira une impression énorme sur Eugène Delacroix, qui le commente ainsi dans son journal du 25 janvier 1847, jugeant l'oeuvre de meilleure qualité que "La chasse au lion" :
« Au contraire, dans la Chasse à l’hippopotame, les détails n’offrent point le même effort d’imagination ; on voit sur le devant un crocodile qui doit être assurément dans la peinture un chef-d’œuvre d’exécution ; mais son action eût pu être plus intéressante. L’hippopotame, qui est le héros de l’action, est une bête informe qu’aucune exécution ne pourrait rendre supportable. L’action des chiens qui s’élancent est très énergique, mais Rubens a répété souvent cette intention. Sur la description, ce tableau semblera de tout point inférieur au précédent ; cependant, par la manière dont les groupes sont disposés, ou plutôt du seul et unique groupe qui forme le tableau tout entier, l’imagination reçoit un choc, qui se renouvelle toutes les fois qu’on y jette les yeux, de même que, dans la Chasse aux lions, elle est toujours jetée dans la même incertitude par la dispersion de la lumière et l’incertitude des lignes.
Dans la Chasse à l’hippopotame, le monstre amphibie occupe le centre ; cavaliers, chevaux, chiens, tous se précipitent sur lui avec fureur. La composition offre à peu près la disposition d’une croix de Saint-André, avec l’hippopotame au milieu. L’homme renversé à terre et étendu dans les roseaux sous les pattes du crocodile, prolonge par en bas une ligne de lumière qui empêche la composition d’avoir trop d’importance dans la partie supérieure, et ce qui est d’un effet incomparable, c’est cette grande partie du ciel qui encadre le tout de deux côtés, surtout dans la partie gauche qui est entièrement nue, et donne à l’ensemble, par la simplicité de ce contraste, un mouvement, une variété, et en même temps une unité incomparables. »
130 ans après la réalisation du tableau de Rubens (et 2 ans avant les observations de Delacroix), William Turner peint "The whaleship" (1845) dont le personnage principal n'est pas le navire :

Melville s'inspirera de ce tableau dans le chapitre 3 de "Moby-Dick". Une peinture accrochée au mur de l'auberge "du souffleur" y montre une forme noire, dont on ne sait trop si c'est un nuage ou un cachalot, qui va s'abattre , tel un kamikaze, sur les mâts d'un navire en difficulté dans la tempête.
Ceci renvoie à "La grande vague de Kanagawa" de Katsushika Hokusai (1831), guerrier de l'armée-tsunami qui va détruire les embarcations et noyer leurs occupants :

Morquan (évoqué par Melville au chapitre 45 de "Moby-Dick), l'un des cachalots guerriers au large du Japon, représenté par Kathleen Piercefield en 2016 :

En 1834, Hokusai personnalise certaines goutelettes de la vague en oiseaux marins. Ceux-ci seront les compagnons du cachalot blanc dans le roman de Melville 17 ans plus tard....

Au début des années 1800, un cachalot combattant du Sud-Est de l'Indonésie ("Timor Jack"), connait le parcours officiel suivant : Il fut le héros de nombreuses histoires étranges, comme celle de la destruction de chaque bateau qui était envoyé contre lui, jusqu'à ce qu'un artifice soit élaboré en arrimant un baril à l'extrêmité de la corde reliée au harpon avec lequel il avait été frappé, et tandis que son attention était dirigée et répartie entre plusieurs bateaux, on parvint, en définitive, à le blesser mortellement ». Curieusement, le spectacle saisissant de ce « carrousel des barils » ne fut plus jamais répertorié nulle part... Comme nous l'avons évoqué régulièrement sur ce blog, le cachalot de Timor fut, plus que tout autre, un agent historique impensé pour les hommes, et un soldat oublié. Le « carrousel des barils », dont il fut le moyeu et la bulle noire lors de sa fin supposée au début du XIXème siècle annonçait le maelström de sa vengeance posthume, quelques décennies plus tard...
DU NIL AU NIGER ET AU CONGO.
Dans « Au cœur des ténèbres », récit aux accents profondément melvilliens, Joseph Conrad évoquera un hippopotame apparemment indestructible : « Les bonshommes sortaient tous en groupe et déchargeaient sur lui tous les fusils qu'ils pouvaient trouver. Mais ce déploiement d'énergie était vain... Un bruit amorti de puissantes éclaboussures et de reniflements se fit entendre au loin, comme si un ichtyosaure prenait un bain de lumière dans le grand fleuve. »
L'anthropologue Jean Rouch mentionnera pour sa part « le « Moby Dick » des chutes de Labbezanga » à propos d'un vieil hippopotame qui parvint à disperser une flotille de pêche sorko, endommageant plusieurs embarcations y compris la pinasse principale, longue de plusieurs dizaines de mètres...
Certains contes d'Afrique de l'Ouest montrent l'hippopotame comme un être bénéfique, résoluteur des conflits, comme Mali Sadjo, l'hippopotame bicolore de Bafoulabé (ouest du Mali).

Soundiata, le fondateur de l'Empire du Mali, jeune homme que ses jambes ne portaient pas et qui rampait comme un margouillat (lézard), choisit l'hippopotame comme emblème (Hippopotame se dit Mali en langue bambara).
Au Congo, l'hippopotame blanc offre ses qualités de monture et de guerrier au héros Ingola pour permettre aux Bayombé menacés d'extermination de survivre et triompher de leurs agresseurs : contrairement au vainqueur innommé du premier Pharaon de l'Egypte antique, il porte un nom ; DAGA.
Les tribus des Bayombé et des Mongo étaient ennemies depuis toujours. Nul ne se rappelait la vraie raison de cette hostilité qui n’en était pas moins farouche et tenace. Le plus souvent, c’étaient les Mongo, guerriers accomplis, qui cherchaient querelle aux Bayombé. Ceux-ci étaient travailleurs et pacifiques, mais une fois attaqués, ils se défendaient avec détermination. Ainsi, tout en vivant côte à côte, les Mongo et les Bayombé se faisaient une guerre permanente sans que pour autant les uns l’emportent sur les autres.
Un jour, les Bakouba, apparentés aux Mongo vinrent s’installer sur le territoire de ceux-ci. Ensemble, ils décidèrent de chasser les Bayombé de leurs terres.
Le chef des Bayombé fut mis au courant de cette alliance par Dombi, puissant sorcier, qui avait l’habitude d’invoquer directement Mguri-mgori, le plus grand des dieux. Le chef mobilisa aussitôt ses guerriers, mais les Mongo et les Bakouba étaient bien supérieurs en nombre. Pendant des jours et des nuits, Dombi prépara une puissante magie qui devait faire pencher la victoire du côté des Bayombé.
Le sorcier avait un fils paralysé de naissance, nommé Ingola. Très affecté par l’infortune de son enfant, Dombi s’en plaignit amèrement aux puissants Esprits.
Lorsque la guerre devint imminente, le grand Mguri-mgori lui apparut en songe et lui dit :
» Sorcier Dombi, tu as maintes fois sollicité notre aide pour ton malheureux fils Ingola. Sache, cependant, que malgré son infortune, il sauvera ton peuple dans cette guerre. Qu’il fabrique une lance, mais dans un matériau autre que le bois, et qu’il se rende, armé de cette lance, dans les marécages pour y trouver l’hippopotame Daga. Ce n’est pas un hippopotame ordinaire : sa peau est d’une blancheur éclatante. Daga, l’hippopotame blanc, portera ton fils sur le champ de bataille où ton peuple sera en train de se battre. Ingola arrivera juste à temps pour lui permettre d’emporter la victoire. Lui-même, toutefois ne reviendra pas du combat. «
Le sorcier raconta son rêve à Ingola, qui fut transporté de joie :
» Ainsi, j’irai, moi aussi, au combat ! je ne serai plus la risée des femmes en restant à la maison ! Je me demande seulement comment fabriquer ma lance autrement qu’en bois ? «
Le sorcier réfléchit, puis conseilla à son fils :
» Le mieux sera de la forger en laiton.
Ingola se mit aussitôt à l’ouvrage. Sa lance était terminée lorsque les guerriers Bayombé finirent de se préparer au combat. Il s’en alla vers les marécages de Daga, l’hippopotame blanc, tandis que les guerriers Bayombé partirent pour la guerre. Ingola marcha en clopinant jusqu’au marécage, alors que l’hippopotame venait déjà à sa rencontre. Daga présenta son large dos au jeune homme qui s’y hissa et partit au champ de bataille.
La guerre y faisait rage. La chance commençait à pencher du côté des Mongo et des Bakouba, supérieurs en nombre. Les Bayombé durent reculer, leur retrait se transformant rapidement en débandade, puis en fuite éperdue. Chevauchant son hippopotame blanc, Ingola choisit ce moment crucial pour surgir telle une tornade au milieu des ennemis qu’il se mit à ravager avec sa lance en laiton. Il abattit les Mongo et les Bakouba par rangées entières, Daga, l’hippopotame blanc, piétinant leurs têtes pour les enfoncer dans le sol.
Plus aucun doute ne subsistait sur l’issue de la guerre. Vainqueurs, les Bayombé n’eurent pas le loisir de remercier et célébrer leur jeune héros car un évènement extraordinaire se produisit alors : l’hippopotame blanc trotta jusqu’à un immense arbre creux qui poussait à côté du champ de bataille. Il s’engouffra dans la cavité avec le jeune homme qui le chevauchait toujours, sa lance à la main. Lorsque les Bayombé accoururent au pied de l’arbre, la cavité avait disparu.
En Afrique de l'Ouest, un guerrier est nécessairement, à la fois, un prédateur et un sorcier. Pas plus que le cachalot, il n'engloutit ses victimes dans sa gueule , mais il provoque leur absorption par le fleuve, comme le cachalot le fait avec l'océan :
http://karlshuker.blogspot.com/2016/12/time-to-meet-and-greet-my-hippo-cat.html
Masque géant d'un hippopotame marin des îles Bijagos (Guinée Bissau, Océan Atlantique)

HOMMES DU NORD, COEURS NOIRS. Si les héros handicapés d'Afrique occidentale et centrale font de l'hippopotame leur allié, à l'inverse Achab combat le cachalot blanc, et un jeune inuit rampant (comme Soundiata) qui doit traîner un omoplate de morse, finit par affronter au harpon le Soleil de Minuit...
CONSEIL POUR CEUX QUI VEULENT VIVRE : IL FAUT SAVOIR ARRÊTER UN COMBAT CONTRE UN ADVERSAIRE INVINCIBLE.
Jean Giono voit dans le combat d'Achab une "lutte de Jacob contre l'Ange" qui va trop loin. Il précise (dans "Pour saluer Melville", publié en 1941) :
Melville fait revivre le souvenir « d'une curieuse histoire de baleine [qu'on] attaqua plus de cent fois, et [qui] plus de cent fois fut victorieuse » (pages 72-73). La baleine invincible est l'image inversée de l'ange, comme la mer par rapport au ciel ; elle se confond presque avec lui.