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13 février 2010 6 13 /02 /février /2010 09:36
 UN MANTEAU BLANC SERTI DE PIERRERIES
Enchâssé dans des océans de blancheur, je songe au monde merveilleux  de jadis, où la Nature "était défendue par des animaux immenses, comme il en existait à l'aube des temps" (fait dire à un de ses personnages Hayao Miyazaki dans l'incomparable "Princesse Mononoke").
Entre le 10ème et le 12ème siècle, à l'èpoque où des tigres descendants directs du tigre originel des roselières hantaient les marais d'Europe orientale, ces mêmes animaux ont côtoyé, dans les steppes d'Asie centrale, une faune d'une richesse prodigieuse, comptant parmi elle, semble t-il, un descendant du rhinocéros laineux. Cette situation a peut être perduré jusqu'aux débuts de l'Epoque moderne, il y a 500 ans (Xavier de Planhol, Le Paysage Animal, 2004, Fayard, pages 761 - 762).
La Grande Steppe qui s'étendait de l'Est de l'Autriche actuelle au centre de la Chine d'aujourd'hui fut l'écrin abritant une faune d'une richesse inconnue depuis le Paléolithique. Cette situation est directement liée à l'influence de la civilisation nomade dans cette zone à cette époque. En effet, la domination des nomades entraînait un effacement des civilisations urbaines et un recul démographique significatif des populations sédentaires, ce qui ouvrait des opportunités de développement important pour la flore et la faune sauvage. Les immenses troupeaux de chevaux et de chameaux tendaient à devenir les principaux megaherbivores jardiniers de la steppe, plus encore que les ongulés sauvages. Pour la seule Mongolie, les chevaux étaient 12 millions en 46 de notre ère, et encore 5 à 6 millions pour des époques moins favorables (J-P Roux, L'Asie centrale, histoire et civilisations, 1997, Fayard, page 48). Ils constituaient aussi une impressionnante source de nourriture potentielle pour les grands fauves présents dans les environs (tigres, léopards, lions, hyènes, loups rouges et même léopards des neiges).
En effet, quand une communauté nomade connaissait des difficultés politiques, elle perdait le contrôle sur au moins une partie de son cheptel qui se réensauvageait, subissant  un prélèvement beaucoup  plus important par les prédateurs sauvages. D'autre part, les sédentaires cherchaient à prendre possession de ce trésor. La confrontation entre le Grand Prince kievien Vladimir Monomaque et un tigre dans les marais d'Europe orientale à la fin du 11ème siècle est une conséquence directe de la victoire du premier sur les nomades Polovtsiens.
De nombreux chevaux sauvages ont ainsi erré en nombre en Europe de l'Est jusqu'au 18ème siècle, et ce fut aussi le cas de chameaux "de Bactriane" réensauvagés , très nombreux eux aussi, et de façon aussi tardive. Ils erraient notamment dans les steppes du sud de l'actuelle Ukraine (De Planhol, déjà cité, page 762).
En Asie centrale, l'islamisation des sociétés favorisa le développement des troupeaux de sangliers (non consommables du fait de l'interdit religieux, donc non chassables), ce qui bénéficia largement, là encore, aux grands prédateurs.
De plus, des espèces considérées aujourd'hui comme "forestières" du seul fait de la pression infligée par la civilisation sédentaire, étaient présentes dans la steppe : l'ours, l'élan, le cerf Maral, le glouton, le Castor, l'écureuil... et côtoyaient félins, canidés et hyénidés, le long de toutes les rivières accompagnées de rubans forestiers, du Dniepr aux pays transvolgaïques et jusqu'à  la Bactriane (De Planhol, déjà cité, page 763).
Dans la mer Caspienne et le delta de la Volga, de vastes populations d'esturgeons comptaient en leur sein des individus gigantesques de près de 9 mètres, dont la masse équivalait à celle d'un grand hippopotame mâle (2,7 tonnes).

LE RHINOCEROS DES NEIGES
Quand des tsunamis neigeux engloutissent la steppe, les habitants s'adaptent, migrent ou meurent. Le tigre, qui, aux beaux jours, s'apparente à l'ours en devenant principalement pêcheur dans certaines zones inondées (Smirnov 1875 dans Heptner et Sludskii 1992 page 165, Mammals of the Soviet Union, 2 (2), Brill editions), devient alors semblable au léopard des neiges qui, tel une belette géante fouisseuse, est appelé par les pasteurs kirghizes "Kar Kechken Il'birss" : "Celui qui avance dans la neige jusqu'au poitrail".
Le rhinocéros velu, bien connu depuis la découverte, en Ukraine, d'une femelle vieille de 8000 ans et parfaitement conservée, était parfaitement adapté à ces périodes d'épais manteau neigeux et
son ou ses descendants du Moyen Âge centre asiatique devaient être dans le même cas : en plus d'une longue toison laineuse, il possédait un système de cloisonnement des narines bien utile quand il fouissait la neige comme une taupe géante, ou quand il était totalement recouvert par elle pendant son sommeil lors d'une tempête, comme celà arrive régulièrement aux chevaux et aux chameaux. Sa corne nasale était gigantesque, non pas conique comme celle des autres rhinocéros, mais avec un côté plat, ce qui lui permettait d'utiliser celle - ci comme la lame d'un chasse neige.
Même lors des hivers les plus terribles, cet animal trouvait toujours le moyen d'avoir accès à la nourriture, quelle que soit l'épaisseur de neige à traverser pour l'atteindre. Il ne migrait jamais. De plus, le véritable "rhinocéros blanc" appartenait à cette espèce : c'était les individus albinos qui pouvaient apparaître de loin en loin (comme dans le cas du bison blanc, et ce fut sans doute aussi le cas pour des mammouths).

QUI EST LA LICORNE DE LA CULTURE EUROPEENNE?
Nous avons déjà évoqué, à plusieurs reprises, la présence du tigre dans la culture européenne, de Dionysos à Vladimir Monomaque (et ses contrepoints ultérieurs) en passant par le poète latin Martial, et son rôle complémentaire ou superposable, suivant les cas, à celui de l'ours dans l'imaginaire européen.
Qu'en est - il du rhinocéros?
La représentation la plus connue de la "licorne" (telle qu'on peut la voir, aux côtés de "La Dame à la Licorne", comme animal de compagnie de celle - ci, et à elle soumis) présente un cheval doté d'une longue corne frontale torsadée. Pendant des siècles, les vikings présents dans les comptoirs du Groënland, ont vendu à prix d'or, en Europe, ces "cornes de licorne", en vérité des dents de narval qu'ils achetaient aux chasseurs - pêcheurs groënlandais. Mais les premiers voyageurs européens en Inde ont spontanément "reconnu" dans le rhinocéros (qui leur rappelle un cheval, un âne - auxquels il est d'ailleurs apparenté - voire un chameau) la Licorne des légendes. D'ailleurs, celle - ci est un animal redoutable, qui balaie tout sur son passage, et seule une vierge découvrant sa poitrine devant elle l'adoucit. L'animal soumis pose alors délicatement sa tête sur les seins de la jeune fille.

LE RHINOCEROS INDOMPTE ET LA SOEUR DU "TIGRE FEROCE"
Et c'est donc dans ce cadre culturel qu'Abélard se présente à Héloïse comme "Rhinoceros indomitus", "le Rhinoceros indompté".
On trouve le même phénomène d'héroïne apaisante et résolutrice dans un conte russe, "le Tsarévitch Ivan et la bête féroce". Soumis à des épreuves redoutables, Ivan parvient à apprivoiser un sanglier gigantesque grâce à un foulard de soie, puis une jument fabuleuse dont les tâches contiennent, par emboitements successifs, un troupeau immense de plusieurs milliers de chevaux, grâce à une bride d'argent. Le foulard et la bride, aux effets aussi puissants que la poitrine de la "Dame à la Licorne", lui ont été procurés par une étrange et bienveillante jeune fille, Marya.
La jument à l'immense troupeau évoque irrésistiblement la civilisation des cavaliers nomades.
Le "sanglier" est qualifié ainsi dans une version tardive. Est - il apparenté au rhinocéros laineux, comme c'est le cas de l'animal chevauché par la déesse Arduina, divinité celtique des Ardennes?
Quant à "la bête féroce", contrairement à celle ("lyuty Zver") de Vladimir Monomaque, elle est ici directement associée à l'édification du Royaume dont elle est en fait l'agent principal. L'étrange et bienfaisante Marya "aux baisers miellés" se révèle être sa propre soeur...



 
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