Le Passé n'est qu'un prologue : baleines noire et bleue, sirène géante. L'exemple du tigre en Russie et Asie centrale ouvre la voie au réensemencement océanique en prédateurs géants.
Le sauvetage du tigre en extrême orient russe depuis 1995 entraîne désormais la reconstitution de son proche congénère d'Asie centrale ("Terre et Mer", 4 mars - format PDF téléchargeable à partir de la page d'accueil du site -,, blog du 12 avril). Une possibilité analogue de reconstruction d'animal disparu s'étend désormais aux tigres d'Indonésie d'une part, aux lions de l'Atlas à partir d'une souche indienne d'autre part (blog du 12 avril). D'énormes mammifères marins, trop peu nombreux aujourd'hui, peuvent faire l'objet d'une aide significative à la reconstitution de leurs populations.Voici 3 cas emblématiques.
La Baleine Franche Noire (Baleine des Basques, Baleine Boréale). Cette baleine de l'Atlantique Nord fut quasiment exterminée au cours du 19ème siècle. Elle a été historiquement aussi importante dans la culture et l'économie européenne que la morue. Elle fut le premier grand animal sauvage à être officiellement protégé dans le monde entier en 1936 (voir tous les détails dans Nelson Cazeils 2003. Dix siècles de pêche à la baleine, eds. Ouest - France). Sa cousine géante, la Baleine Franche du Groënland, le fut en 1947 (la même année, le tigre de l'Amour fut légalement protégé en Russie). Mais la baleine des basques ne parvient pas à reconstituer ses populations (quelques centaines d'individus), et tout reste donc à rebâtir. L'essentiel de la population (comme le tigre de l'Amour) vit près des côtes américaines. Les populations européennes (comme le tigre d'Asie centrale) sont relictuelles.Depuis les années 2000, une population "centrale", s'éloignant de l'Amérique pour se rapprocher de l'Europe, semble commencer à se constituer.(observations en Islande en 2003, et à l'extrême sud du Groënland en 2009, pour la première fois depuis de nombreuses décennies). D'autres observations ont été effectuées au Pays - Bas en 2005, aux Açores en 2009... L'apport progressif de ce sang neuf pourrait contribuer à un rétablissement inespéré des populations européennes. De plus, un site de reproduction historique important est celui de la baie de Cintra, au Sud du Sahara occidental marocain..Celui ci fait face aux îles Canaries (espagnoles), où les observations les plus précises et documentées ont pu être réalisées. Le Maroc a peut être ici l'opportunité d'une "vitrine sauvage" (dont j'avais donné les contours dans "Terre et mer") étoffée par le retour d'un grand animal marin favorisé par un projet coproduit avec l'Espagne.... Lion de l'Atlas et baleine des Basques deviendraient deux fiertés du pays, comme le lion de Gir et le requin baleine le sont pour le Gujarat indien....
Les Norvégiens pourraient agir de même, au Svalbard, avec leurs rarissimes ours polaires et baleines franches du Groënland. Et les russes sont confrontés au défi de la préservation de leur baleine franche du Pacifique Nord, exact symétrique oriental de la baleine des Basques (quelques centaines côté américain, quelques dizaines côté russe, toutefois mieux suivies, et répertoriées que leurs congénères atlantiques). Celle - ci faisait partie des grands cétacés pêchés par les coréens il y a des milliers d'années (Sangmog Lee. 2011. Chasseurs de baleines. La frise de Bangudae, Corée du Sud. Editions Errance).
La Baleine Bleue. Comme le tigre de l'Amour en 1995, la Baleine Bleue mérite une véritable "opération Amba" maritime, malgré sa protection officielle en 1964, enchassé dans'un projet de reconstitution beaucoup plus large et multifactoriel. Ceci passe peut être par une "corsairisation" des "pirates protecteurs" du Sea Shepherd par des Etats, comme c'est déjà le cas avec le Sénégal depuis le début de cette année... Dans l'Océan Austral, on comptait entre deux et trois cent mille individus au début du siècle dernier. Il n'en restait que quelques centaines au début des années 60, peut être 2000 aujourd'hui. 315000 baleines bleues ont été officiellement pêchées dans l'Océan austral au siècle dernier. La saison de pêche la plus impactante fut celle de 1930 - 1931, où plus de 28000 individus furent hissés à bord de 41 navires - usines. C'est aussi cette année là, les tigres d'Asie centrale brûlèrent vif en grand nombre dans les roselières incendiées, la civilisation nomade fut détruite, les chevaux exterminés, et les hommes subirent une famine encore pire que celle de l'"Holodomor" ukrainien...La réalité fut certainement encore bien pire. A la fin des années 90, les russes reconnurent qu'entre 1948 et 1972, ils avaient pêché 100 000 baleines (de toutes espèces) DE PLUS que ce qu'ils avaient alors déclaré, des baleines franches "protégées" n'ayant pas été épargnées (voir le détail dans Calambokidis J. , Steiger G. 1996. Blue whales. WorldLife Library).. Le mode d'organisation de la société soviétique a fait de sa flotte de pêche le système le plus destructeur de tous les temps à l'échelle planétaire. Il faut lire (ou relire) le témoignage hallucinant de Vladil Lyssenko, capitaine au long cours, pour imaginer ce que fut vraiment la destruction de la vie marine à cette époque. La cataclysmique surpêche actuelle impacte des océans déjà ruinés par ce qu'ils ont subi précedemment... (V. Lyssenko, 1980, Capitaine Lyssenko. Mémoires d'un capitaine au long cours de la marine soviétique. Traduit du russe et annoté par Pierre Grazimis. Editions maritimes et d'outre - mer).
La reconstitution des baleines bleues dans l'Océan austral passe par un statut pour celui - ci de "vitrine sauvage mondiale des géants". Il abrite en effet des animaux plus grands que ceux de la même espèce (ou du même type) vivant plus au Nord.C'est le cas pour la baleine bleue australe, mais aussi l'éléphant de mer, le requin dormeur du Pacifique sud, et le calmar colossal...300 000 baleines bleues géantes sont peut être à même de reconfigurer en profondeur l'écologie et le climat de la planète.
La sirène géante (Rhytine de Steller). Officiellement disparu en 1768, cet animal proche des dugongs pouvait atteindre les proportions d'une baleine de taille moyenne. Elle vécut des côtes de Californie au Kamtchatka. Elle fut rendue célèbre par l'étude que lui consacra Georg Steller lors de l'expédition de Vitus Bering dans la mer des Aléoutiennes en 1741 (voir le détail dans Genevoix F. 2012. Le crépuscule des vaches de mer, éditions du guetteur).Des observations furent réalisées dans la deuxième moitié du siècle dernier, la dernière répertoriée remontant à 1976. La sirène géante peut faire l'objet d'une reconstitution à partir de son ADN (des os ont été collectés sur l'île Bering par des scientifiques en 2011). A titre de comparaison, la reconstitution du mammouth à partir d'un individu vieux de 43 000 ans est bien avancée, avec, il est vrai, dans ce cas, du sang préservé par le permafrost à disposition ("Siberian scientists announce they have now a "high chance" to clone the woolly mammoth", Siberian Times, Anna Liesowska, 13 Mars 2014). Et la renaissance de l'animal dans le Pacifique Nord pourrait ouvrir la voie à son implantation, dans un avenir beaucoup plus lointain, dans la "vitrine sauvage des géants" méridionale... Un document "sea cows : open questions, past, present future" peut être envoyé via mail à qui le souhaite. .