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24 mars 2016 4 24 /03 /mars /2016 07:52

Contribution à l'enrichissement du Patrimoine National de la Russie. Ceci englobe "Un rocher sur la lande" mis en ligne sur ce blog le 27 février dernier.

CRIMEE PROFUSE

Projet pour le Patrimoine National Russe

Reconstitution de la grande faune originelle du berceau des Slaves

К региону Азовского моря – колыбели первоначального сообщества славянских племен – относятся земли, на которых до современной эры обитала поразительно богатая и разнообразная фауна. В следующем году, в связи с объявленным в России Годом природоохранных территорий, по-настоящему крупномасштабный проект развития и сохранения национального наследия не просто был бы особенно желательным для региона, столь тесно связанного с российским, русским самосознанием – без всякого сомнения, подобный проект также бы принес богатые плоды и придал новые силы всему народу, всей стране.

La région de la mer d'Azov, berceau de la communauté slave originelle, a hébergé jusqu'à l'époque moderne une grande faune sauvage d'une richesse prodigieuse. L'an prochain, à l'occasion de l'Année des Espaces Protégés en Russie, un projet patrimonial de très vaste envergure serait particulièrement bienvenu pour ce territoire si intensément lié à l'identité russe, et assurément fécond et fortifiant pour toute la Nation.

Introduction. Le 1er Août 2015, le Président Vladimir Poutine a signé le décret instituant 2017 « Année des Aires protégées ». Depuis ses origines, la culture russe offre à la Nature une place centrale dans son patrimoine national, et la considère comme nourricière mais aussi protectrice (les forêts ont constitué à de nombreuses reprises de véritables refuges face aux envahisseurs pillards, et au XIIIème siècle, la débâcle printanière dans les marais du Nord empêcha les Mongols d'accéder à Novgorod). Les monastères orthodoxes médiévaux ont parfois été considérés de facto comme les premiers zapovedniks – espaces naturels protégés - (Josephson 2013). Et les 2000 dessins des frères Chernetsov, réalisés en 1838, lors de leur voyage entre Rybinsk et Astrakan, célèbrent la Volga (Speake 2013). Au même titre que l'Anneau d'Or, joyau du patrimoine architectural et urbain, les espaces naturels jouissant d'une protection particulière constituent pour la Nation un ruban d'émeraude, serti de saphirs et de diamants.

Azov, berceau des Slaves. La région de la mer d'Azov est le berceau de la culture slave, comme l'a magistralement démontré Cornillot (1994, 1998). De nombreuses histoires tirées du « folklore » slave se déroulent dans cette région (citons simplement, à titre d'exemple, les poèmes de Pouchkine « Rouslan et Ludmilla » et « Le conte du Tsar Saltan », ou « Le petit cheval bossu » de Piotr Erchov).

L'Esturgeon Kara est « le grand - père » de la communauté originelle, à laquelle il transmet ses caractéristiques à travers un « brochet aux ailes d'or ». Et comme le rocher Alatyr est le socle de l'Arbre du Monde, la mer d'Azov « mère de la mer sombre » est un Alatyr hydrologique, matrice de Kara, l'Animal monde (Cornillot 98 pages 114 - 115 ). Palatnikov et Kasimov (2010) illustrent cette dimension chez l'animal réel : celui - ci, venu du fond des âges - il y a 200 millions d'années - n'est ni un poisson osseux, ni un poisson cartilagineux. Les mécanismes de son développement embryonnaire s'apparentent à ceux des amphibiens. De plus, il possède des caractéristiques uniques quant à la structure de son cerveau, ainsi que dans la composition en protéines et en lipides de différents tissus. Enfin, il a été démontré que pour un certain nombre de facteurs internes, l'organisation de l'animal le rapproche non seulement des reptiles, mais même des mammifères (Palatnikov et Kasimov 2010, pages 13 – 14). Il y a 2500 ans, Hérodote écrivait que les tribus scythes pêchaient les esturgeons dans la mer d'Azov, la mer Noire et la mer Caspienne. Et l'esturgeon géant bélouga de la mer Caspienne (Huso huso) a une sous - espèce dans la mer d'Azov (Huso huso maeoticus) et une autre dans la mer Noire (Huso huso ponticus). Le "poisson baleine" (Piotr Erchov), qui transporte la communauté slave originelle sur son dos,  est peut -  être un avatar de Kara.

Aperçu historique de la grande faune de la région (de la Rus' de Kiev au Khanat de Crimée).

« Les Slaves, issus de la forêt et de la forêt – steppe, qui, délivrés de l'autorité turco – mongole, commencèrent, vers la fin du XVème siècle, à s'enfoncer en nombre dans les steppes, y découvrirent en effet un paysage animal d'une exubérante profusion » (Planhol 2004, page 762). Aux côtés des ours et des élans (aussi steppiques que forestiers jusqu'à cette époque), des antilopes saïgas occupaient cet espace, des onagres (ânes sauvages) ainsi que des chameaux de Bactriane arrivés au XIIIème siècle avec les Mongols, et qui, retournés à l'état sauvage, se maintinrent jusqu'au XVIIIème siècle (Planhol 2004). Au Moyen – Âge, des sangliers géants (Sus scrofa attila), des aurochs et des chevaux sauvages, tous en vastes troupeaux, évoluaient dans la prairie, les marais et les roselières (Berg 1941). Il est vraisemblable que des bisons d'Europe étaient également présents dans cet espace.

De plus, il est même envisageable que des rhinocéros (Elasmotherium ? Rhinocéros chinois?) aient survécu dans la steppe européenne jusqu'aux débuts de l'ère moderne (Planhol 2004 : pages 761 – 762, Sennepin 2016).

Par ailleurs, Berg (1941) décrit avec minutie « l'abondance des « soucoupes », dépressions circulaires peu profondes et de dimensions variées, parfois occupées par des lacs, des marais ou des eaux temporaires. On les rencontre de préférence dans les plaines qui partagent les eaux. Dans la région de Poltava, ces « soucoupes » sont parfois si nombreuses que la distance qui les sépare descend parfois de 60m à 2m. Leur profondeur est généralement de 75 à 150cm, plus rarement de 2m. Leur diamètre varie de 10 à 50m. » C'est dans l'une d'elle, la « soucoupe » d'Aïgamane, que fut abattu, en 1876, le dernier cheval sauvage de la région, une jument (dans la région du parc zoologique d'Ascania – Nova).*

Berg mentionne également les ravins « qui acquièrent un grand développement dans certaines parties de la zone des steppes boisées, notamment sur la rive droite de la Desna dans le territoire de Tchernigov ou dans le bassin supérieur du Don. » Et c'est probablement dans l'un d'entre eux que le Grand Prince Vladimir Monomaque, lors de l'une de ses chasses entre Tourov et Tchernigov (1073 - 1094) a subi l'attaque d'un tigre (« lyuty zver », Heptner 1969), comme ce fut le cas pour d'autres cavaliers, plus récemment (1928), sur le territoire de l'actuel Tadjikistan, dans « Tigrovaïa Balka », la « Ravine du Tigre ».

Dans le film « Rouslan et Liudmilla » réalisé par Alexandre Ptoutchko en 1972, dont l'intrigue se déroule dans la Rus' de Kiev, le héros est confronté à cet animal.

Et cette présence du tigre dans l'Europe orientale médiévale ouvre la possibilité de celle de grands carnivores qui lui sont généralement associés, la hyène striée (Bogdanov 1992), et le loup rouge (dhole).

Enfin, jusqu'aux débuts de l'ère moderne, voire plus récemment, un esturgeon sur six pêché dans le Don mesurait plus de 4m de long (Palatnikov et Kasimov 2010).

Temps troublés, trésors perdus. Bien après la fin du joug tatar en Moscovie (1480, Lebedynsky 2013), la Russie resta en partie impuissante à maîtriser des zones clefs de son territoire, perdant ainsi une partie significative de sa population humaine et animale, envoyée en esclavage ou en « pièces détachées » dans l'Empire Ottoman et en Occident. Depuis l'époque de la Horde d'Or comme à celle du Khanat de Crimée, la population slave était victime d'un trafic d'esclaves organisé à très vaste échelle. Ce trafic concernait surtout les femmes, apparemment tout aussi recherchées en Occident que dans l'Empire Ottoman. A en juger par les actes notariaux de Caffa (actuelle Théodosie), comptoir gênois en Crimée, elles étaient quatre fois plus nombreuses que les hommes (dans Lebedynsky 2013, page 93).

Dans la deuxième moitié du XVIème siècle, Arkhangelsk fut largement utilisé par les Hollandais et les Anglais comme un comptoir à fourrure dont ils se considéraient comme propriétaires, dans une démarche typiquement coloniale (Vianey 2013).

Et si « Le Temps des Troubles » correspond à la période allant de 1598 à 1613 dans l'historiographie officielle (Berelowitch 2001), la Moscovie fut directement menacée d'anéantissement avant cette époque par le Khanat de Crimée, allié de l'Empire Ottoman. Moscou fut détruite en 1571 (80 000 morts, 150 000 prisonniers). De nouvelles tentatives intervinrent à sept reprises avant qu'une paix « définitive » ne soit signée en 1593 (Lebedynsky 2013). Pendant ce temps, Arkhangelsk fonctionnait à plein régime (Vianey 2013). Et c'est en 1579 que le voyageur polonais Martin Broniovius, qui se rendait en mission diplomatique auprès du khan de Crimée, observa ce qui semble être des rhinocéros dans les steppes d'Otchakov et de Savran (Planhol 2004, Albrecht & Herdick 2011, Sennepin 2016). Sept ans plus tard, le français Jean Sauvage se rendit en Moscovie, le roi Henri IV marquant son inquiétude quant à l'avance anglaise et hollandaise dans « la course aux fourrures » (Vianey 2013). L'Angleterre mit à profit la désagrégation politique intérieure au début du XVIIème siècle pour faire main basse sur le comptoir à fourrures de Mangazeïa (ouvert en Sibérie occidentale en 1601), véritable plaque tournante commerciale, expédiant vers l'Occident fourrures, caviar en tonneaux, ivoire de morse (et peut être, qui plus est, les peaux et les cornes, respectivement, des derniers tigres et rhinocéros européens). La Moscovie se vit infligée la domination polonaise en 1610, heureusement de courte durée. Elle arracha une souveraineté factuellement partielle en 1613, puis retrouva sa pleine autonomie en 1619. Cette année là, Mangazeïa fut détruite par un incendie, derrière lequel transparaît un conflit de souveraineté entre l'Etat russe et une puissance étrangère (l'Angleterre), comparable à celui qui avait opposé, à la fin du Xvème siècle, puis au XVIème , Ivan III et Ivan IV à Novgorod et la Ligue Hanséatique.

Reconstituer le bouclier de la Nation. Dans le cadre des initiatives prises à l'occasion de l'Année des Aires Protégées (2017), un projet de reconstitution progressive de la faune originelle du berceau des slaves pourrait être particulièrement fécond pour l'enrichissement du patrimoine national russe, dans toutes ses dimensions.

Et les expériences menées d'ores et déjà en Crimée sur les grands fauves (Parc Taigan des lions et zoo de Yalta) s'en trouveraient assurément dynamisées.

Les études préalables de faisabilité pourraient avantageusement s'inspirer, au moins en partie, du travail de Sergeï Zimov, qui reconstitue la mosaïque d'essences végétales typiques d' une steppe de l'ère glaciaire, dans la station Tcherskii (Parc Pleistocène, république de Sakha). Entamée il y a des décennies, cette initiative originale présente un bilan d'expérience unique, avec la présence de chevaux, de rennes, de bisons et d'ovibos. Ces dernières années, le projet est entré dans une phase cruciale, avec les premières étapes de reconstitution du mammouth laineux, et, très récemment (4 mars 2016), du lion des cavernes (le rhinocéros à fourrure devrait logiquement être le prochain concerné). Ceci participe à une régénération active de la culture yakoute traditionnelle (Sennepin 2016).

Ainsi, à terme, Les verrous de Saphir (Azov) et de diamant (Sakha) enchasseraient le ruban d'émeraude des espaces forestiers et prairiaux de la Fédération.

Et d'autres initiatives d'ampleur comparable et à fonction similaire pourraient alors voir le jour. Par exemple, celle d'une reconstruction de la Volga patrimoniale, presque 180 ans après le voyage des frères Chernetsov. Rappelons simplement qu'au Moyen – Âge, un esturgeon sur cinq pêché dans le bassin moyen de ce fleuve mesurait entre 4 et 6m de long. En 1769, l'académicien Samuel Gottlieb Gmelin assista à une pêche de 500 esturgeons bélougas en deux heures. Tous pesaient entre 655 et 820kg (Palatnikov et Kasimov 2010).

A Rybinsk, en 1838, les frères Chernetsov entendirent parler d'esturgeons de 19 mètres...

Un peu plus au Sud (Azerbaïdjan), la rivière Koura abrita jusqu'au siècle dernier les plus grosses truites du monde, dont certaines pouvaient atteindre 50kg … (Berg, dans Prosek 2003, page 136). A comparer avec la situation du Kaluga géant de l'Amour Huso dauricus ("Préparer le rebond" mis en ligne sur ce blog le 22 mars 2016).

* Plus à l'Est, le cheval de Przewalski, disparu en Russie au siècle dernier, a été réintroduit cet hiver dans les environs d'Orenbourg (six animaux issus d'une réserve du sud de la France, avec, à terme, l'espoir de la constitution d'une population viable d'une centaine d'individus dans cette zone proche de la frontière avec le Kazakhstan).

Références bibliographiques.

Albrecht (S), Herdick (M). 2011. Im Auftrag des Königs : ein Gesandtenbericht aus dem Land der Krimtataren : Die Tatariae Descriptio des Martinus Broniovius (1579). Regensburg

Berelowitch (A). 2001. La hiérarchie des égaux. La noblesse russe d'Ancien Régime, XVIe – XVIIe siècles. Editions du Seuil.

Berg (L). 1941. Les régions naturelles de l'URSS. Traduction française par G. Welter. Bibliothèque Payot, Paris.

Bogdanov (O.P). 1992. Rare animals. Chief Editorial Board of Encyclopedies. Tachkent.

Cornillot (F). 1994. L’Aube Scythique du Monde Slave. Slovo 14, 77 – 260.

Cornillot (F). 1998. Le Feu des Scythes et le Prince des Slaves. Slovo 20 / 21, 27 – 128.

Erchov (P). 1834. Konyok Gorbunok.

Heptner (V.G). 1969. O lyutom zvere Monomakhova "Poucheniya detyam". Okhota i Okhotn. Khoz., 5, 42 – 43.

Josephson (P) and al. 2013. An environmental History of Russia. Cambridge University Press.

Lebedynsky (I). 2013. La Horde d’Or . Conquête mongole et « joug tatar » en Europe. 1236 – 1502. Editions Errance.

Palatnikov (G.M), Kasimov (R.U). 2010.Sturgeons, contemporaries of dinosaurs. Baku 2010. 71 pages.

http://www.polonia-baku.org/img/sturgeons_eng.pdf

Planhol (X.de). 2004. Le paysage animal. L’Homme et la Grande Faune : une zoogéographie historique. Editions Fayard.

Prosek (J). 2003. Le bel inventaire des truites. Editions Aubanel.

Sennepin (A). 2016. The enigma of the european rhinoceroses. Unpublished PDF document. 14th February 2016.

Speake (J) eds. 2013. Literature of travel and exploration : an Encyclopedia. Routledge, Taylor / Francis. NY, London.

Vianey (B). 2013. Le voyage de Jean Sauvage en Moscovie en 1586. Editions L 'Âge d'Homme.

Autres :

Ptouchko (A). 1972. Film. Rouslan et Liudmilla. D'après le poème éponyme d'Alexandre Pouchkine 1820, et del'opéra de Mickaïl Glinka 1837 – 1842.

Rimski Korsakov (N). 1900. Opéra. Le conte du Tsar Saltan, de son fils, glorieux et puissant preux le prince Gvidone Saltanovitch et de la très belle princesse cygne. D'après le poème éponyme d'Alexandre Pouchkine, 1831.

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