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23 novembre 2011 3 23 /11 /novembre /2011 13:04

CEUX GRACE AUXQUELS NOUS SOMMES TOUJOURS ICI.

Hommage à Lev Kaplanov et Yuri Salmine. (Source principale : John Vaillant. Le tigre. Une histoire de survie dans la taïga. Version française : éditions Noir sur Blanc. 2011).

 

L'annexion par la Russie, au cours de la deuxième moitié du 19ème siècle, de la région de l'Amour (arrachée à la Chine), puis de l'Asie centrale (lors du "Big Game" avec l'Angleterre impériale, alors première puissance mondiale), fut une véritable malédiction pour les tigres habitant ces espaces. En 50 ans, 40 000 tigres russes et centre asiatiques furent abattus, dont 6000 pour le seul extrême - orient (80 000 furent tués dans l'Inde anglaise au cours de la même période). 

 

Quand Lev Kaplanov naît, en 1910, leur situation est donc, d'ores et déjà, très critique (pour employer une formule modérée). Dans les années qui suivent, elle devient désespérée aux yeux de tous les observateurs contemporains. Les  tigres d'Asie centrale encore en vie à la fin des années 20 périssent dans les roselières en feu pour faire place à la monoculture du coton. Celles - ci, qui furent leur maison, deviennent leur bûcher.

En extrême - Orient, face à la mer du Japon, la situation pour les tigres de l'Amour est bien pire que lors de la katastroïka eltsinienne, période au cours de laquelle tout espoir semblait pourtant perdu.

En effet, au début des années 30, l'indifférence de l'opinion est totale vis à vis des animaux sauvages. L'étude scientifique des grands herbivores et carnivores passe automatiquement par la mort des animaux recherchés. Les grands prédateurs sont universellement considérés comme des bêtes nuisibles, à éradiquer en toute priorité.

Dans la région de l'Amour, les officiers russes comme les chinois, par le fusil et les trafics, sont d'un activisme particulièrement destructeur.

Tout celà intervient dans un climat de terreur généralisée, où personne n'ose briser les tabous et mettre la réalité à nu, chacun anticipant aussi bien l'inefficacité sociale d'une telle démarche que ses terribles conséquences au niveau personnel...  

C'est à ce moment que Kaplanov, jeune naturaliste et chasseur hors de pair, choisit une autre approche, totalement révolutionnaire et à contre temps, pour l'étude des tigres : la poursuite sans effusion de sang ni mise à mort (un "no kill" avant la lettre, mais infiniment plus dangereux, à tous niveaux...).

Lev est soutenue dans sa démarche par Yuri Salmine, zoologiste cofondateur de la réserve de Sikote - Aline, dans le Primorye.

Durant deux hivers (1939 et 1940), Kaplanov, assisté de deux gardes forestiers,  effectue un recensement des tigres de Russie orientale. Il couvre ainsi une distance de plus de 1500 kms, sillonnant la chaîne montagneuse de Sikote - Aline dans les tempêtes de neige et par un froid polaire, se nourrissant des proies tuées par les tigres. Il interroge des chasseurs aux quatre coins du Primorye. Le résultat de son enquête montre qu'il reste au plus 30 tigres dans toute la Mandchourie dont une douzaine de femelles reproductrices.

En 1941, Lev Kaplanov met un point final à son traité " Le tigre dans le Sikote - Aline" dans lequel il préconise l'instauration immédiate d'un moratoire de cinq ans sur la chasse de ce grand fauve. Le traité ne sera publié qu'en 1948, 5 ans après la mort de son auteur, dans un livre signé de Kaplanov ; "Tigr, Izioubr, los" ("Le tigre, le cerf de Sibérie et l'élan").

Au cours de la même année 1941, Yuri Salmine franchit une étape supplémentaire en publiant dans une revue nationale un appel urgent à une interdiction totale de la chasse au tigre dans l'extrême - orient russe.

 

Yuri Salmine est envoyé au front. Il n'en reviendra pas.

Lev Kaplanov est mort en 1943, à l'âge de 33 ans. Peu auparavant, il avait été promu à la tête de l'importante réserve Lazovskii. Il est assassiné par des braconniers dans le Sud du Primorye. Les gens qui sont au courant des détails du dossier sont convaincus que l'homme qui a été envoyé en prison n'était pas le coupable et que l'assassin, un personnage bien connu dans la ville de Lazo, n'a jamais été inquiété.

Le corps de Kaplanov, caché dans les profondeurs de la forêt, ne fut retrouvé qu'au bout de deux semaines et dut être transporté à bras d'hommes sur une civière en branches de cerisier du Japon spécialement confectionnée à cet effet. C'était en Mai, les arbres étaient en pleine floraison et les hommes qui le portèrent ce jour - là se souviennent des fleurs qui entouraient son corps.

Lev Kaplanov et Yuri Salmine ont contribué, ô combien, à hisser le tigre du statut de vermine et de trophée à celui d'icône. En 1947, la Russie fut le premier pays au Monde à déclarer officiellement l'espèce protégée.

 

Depuis, par delà de nombreuses et dramatiques vicissitudes, le nombre de tigres russes a été multiplié par 10. Si la situation reste précaire, ils se sont éloignés du risque d'extinction immédiate, d'autant plus que le regard que leur portent les russes s'est totalement modifié. L'Annexion de ces terres extrêmes orientales, il y a 150 ans, qui fut si calamiteuse dans un premier temps, devient une bénédiction désormais : le tigre de Mandchourie, qui coulait des jours heureux et tranquilles dans la Chine du Nord Est du 19ème siècle, n'aurait probablement pas survécu au maoisme éradicateur, fatal aux dizaines de milliers de tigres de Chine méridionale, puis aux pratiques de la Chine d'aujourd'hui...

 

Pour sécuriser solidement l'avenir des tigres, il convient de mettre en place les accords politico économiques et les protocoles zootechniques les plus à même d'amener leurs populations, à terme, à hauteur de ce qu'elles furent en Russie et en Asie centrale avant 1850, avec des effectifs de 50 à 80 fois supérieurs à ce qu'ils sont aujourd'hui. Ceci est un point minimal, ne tenant pas compte des tigres de la Russie Européenne, vraisemblablement disparus dans cette partie du pays depuis le 17ème siècle...

 

L'action courageuse et lucide de Lev Kaplanov et Yuri Salmine a donc eu des conséquences considérables, non seulement à l'échelle du XXème siècle, mais même à celle de l'Histoire dans son ensemble, passée et future.

Nous leur devons VRAIMENT beaucoup (je m'exprime ici, notamment, au nom de personnes tellement plus nombreuses qu'imaginé par le profane,aveugle et sourd), et en particulier, cette petite chose anecdotique, qui est le fait d'être toujours en vie.

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