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6 mai 2018 7 06 /05 /mai /2018 07:26

En hommage à Nikolaï Appolonovitch Baïkov, tigre européen oublié, mort il y a 60 ans aujourd'hui, loin de chez lui. Ceci fait suite à "L'Amour est éternel" mis en ligne le 17 février 2015, et au "Passeur", mis en ligne le 23 avril 2018.

Baïkov, grand chasseur de tigres et admirateur de ceux - ci, fut le Corbett russe. Enfant, il rencontra Nikolaï Przhevalsky, qui était un ami de son père, et lui demanda s'il avait chassé des tigres. "Malheureusement, non. J'ai chassé divers animaux, mais je n'ai pas eu à prendre de tigres. Vous le ferez pour moi lorsque vous traverserez la taïga de Mandchourie ou la région d'Oussouri." lui avait alors répondu ce dernier. Et il lui offrit son ouvrage "Voyage dans la région d'Oussouri"...

Il fut à la tête d'une compagnie du 5ème régiment "Zamursky), surnommée "Commando Tigre"pour son efficacité dans la chasse de ces grands félins dans les années 1910, (il jouait alors le même rôle à l'Est que les chasseurs professionnels dans le Sud à l'encontre des tigres "de la Caspienne"), mais il oeuvrait aussi à leur protection en luttant contre les bandits houndouzes, épisode mis en lumière, notamment, dans son ouvrage "Dans les déserts de Mandchourie" publié en 1934.

En 1914, il eut l'occasion de rencontrer un représentant tardif de l'Homme de Neanderthal ("Le Rouge et le Gris" mis en ligne le 16 août 2016). Les membres du "Commando Tigre" furent pour la plupart tués sur le front de Galicie lors de la première guerre mondiale (Baïkov y fut blessé, pour sa part). Parmi eux, un compositeur qui voulait, après une "nuit des fauves"passée dans la taïga avec son chef de groupe, écrire un opéra sur le sujet... Les "nuits des fauves" dans la taïga correspondaient à la saison des amours félines, où les grands mâles combattaient en poussant des feulements terrifiants  (pensons à ceux de nos modestes chats de gouttière en pareille circonstance) et, saturés de testosterone, pénétraient dans les cabanes des trappeurs...

N. Baïkov fut un ami de Vladimir Klavdievitch Arseniev, né la même année que lui (1872), auteur de "Dersou Ouzala", sauveur des derniers tigres de Mandchourie au début des années 1910 ("Bilan d'étape" mis en ligne le 16 avril dernier). Voici ce que j'avais écrit à leur sujet le 26 juillet 2015 dans "Guerre et Paix" mis en ligne ce jour là.

ARSENIEV ET BAÏKOV, DEUX AMIS, DEUX FRERES, DEUX VISIONNAIRES. Saluons ici le travail unique, complet et inappréciable de Michel Jan à leur sujet, dans Arseniev (2007) et Baïkov (2002, 2004).

Arseniev (V). 2007. Dersou Ouzala. Présenté par Michel Jan. Petite bibliothèque Payot / Voyageurs.

Baïkov (N). 1939. Les bêtes sauvages de la Mandchourie, suivi du "Ginseng" ou "racine de vie". Editions Payot.

Baïkov (N). 2002. Des tigres et des hommes. "Le Grand van" et autres nouvelles. Présenté par Michel Jan. Petite bibliothèque Payot / Voyageurs.

Baïkov (N). 2004. Dans les collines de Mandchourie. Présenté par Michel Jan. Petite bibliothèque Payot / Voyageurs.

 Nés la même année (1872), très bons amis, Vladimir Arseniev et Nicolas Baïkov ont tous deux apporté un témoignage capital sur les bouleversements intervenus à partir du début du siècle dernier dans l'extrême orient russe, mais pas seulement cela. Arseniev évolue dans l'extrême - orient russe, Baïkov dans le Nord Est chinois, cette "Mandchourie" qui est une "Chine russe", en quelque sorte, à l'époque. Arseniev illustre son propos à travers le personnage de Dersou Ouzala, chasseur Nanaï. Dersou est révolté par la dévastation du milieu naturel et le massacre des animaux sauvages, principalement du fait de bandits chinois, les houndouzes. Ayant tué accidentellement un tigre, puissante divinité locale, il se retrouve en grand désarroi psychique, craignant une malédiction qu'il aurait lui même provoquée (dans une culpabilité paralysante qui évoque "étrangement" la culture japonaise, et par delà celle du Pacifique Nord). Il finit par être assassiné par ceux (des bandits chinois) qui détruisent son univers... La nouvelle décrit en fait une forme "d'invasion barbare" de la Russie orientale par des populations chinoises et coréennes déprédatrices, qui peuvent de plus compter parmi eux de nombreux espions japonais. A ce titre, Arseniev demande aux autorités de son pays d'expulser chinois et coréens pour protéger nanaïs et oudeghes, mais aucune décision n'est prise en ce sens à son époque. Par contre, entretenant des liens d'amitié avec le consul du Japon, il finit par être accusé d'intelligence avec l'ennemi et meurt en 1930 juste avant son arrestation. Sa veuve, elle, sera fusillée. Quand le conflit militaire russo - japonais prend d'importantes proportions à partir de 1937, chinois et coréens seront massivement "transférés" dans d'autres régions ou en Asie centrale : alors qu'ils représentaient 13% de la population de l'extrême orient russe en 1911 ( proportion en constante augmentation par la suite), ils en constituent moins de 1% en 1939. 

Baïkov, lui, illustre son propos à travers "le Grand Van", un tigre de Mandchourie. En 1942, lors d'un colloque sur la littérature d'Asie orientale à Tokyo, et où Baïkov était un des six écrivains représentant l'Etat libre du Mandchoukouo (allié du Japon), l'écrivain japonais Kan Kikuchi estima que l'histoire du Grand Van " était un travail de premier ordre de la littérature animalière mondiale".

 Pour sauver son royaume, le Grand Van lutte surtout contre les russes, qui ont mis en place la ligne du transmandchourien. L'une de ses "victimes" répond curieusement au nom d'Arseniev. Chasseur sans dieu ni maïtre, il ressemble de façon troublante à Vladimir Markov, mort sous la dent d'un tigre vengeur le 3 décembre 1997, dont John Vaillant (2011) contera l'hallucinante histoire vraie. Dans son combat, le tigre est activement soutenu par d'autres animaux sauvages, mais aussi par les chasseurs autochtones qui le remercient d'avoir brisé l'invincibilité des russes. Qui plus est, c'est le transmoudchourien lui même que le tigre veut détruire. Or, c'est précisément l'existence de ce train qui provoquera le conflit russo - japonais. Mais les chasseurs russes finissent néanmoins par abattre l'animal. Le trappeur chinois Toune - Line fait absolument tout, dans cette nouvelle, pour inverser, lui aussi, le cours des choses. Mais aucun des deux ne parvient à empêcher la destruction de la Mandchourie, puis celle de l'Eurasie.  Chevaliers sans peur et sans reproche frappés par le Destin, ils révèlent, l'un comme l'autre, la culture russe et le sens de la tragédie grecque de Baïkov. De ce point de vue, Toune - Line figure un Dersou Ouzala idéalisé. A Harbin, ville fondée par les russes, Baïkov officier du tsar aura ensuite subi les bolcheviks, l'occupation japonaise, les maoïstes... Il quittera la ville en décembre 1956 avec sa famille, pour Brisbane, en Australie, où il décèdera deux ans plus tard d'artériosclérose. Le réalisateur japonais Akira Kurosawa, après une période de vie difficile, passera un an et demi en Union Soviétique pour porter à l'écran, en 1975, l'ouvrage d'Arseniev, rendant ainsi hommage aux Nanaïs particulièrement éprouvés lors de l'occupation japonaise (la confiscation de leurs armes leur enlevant le pain de la bouche), comme le furent cruellement les Seediq formosans à l'automne 1930, comme l'étaient les Aïnous depuis le 15ème siècle à Hokkaïdo ( Howell 1995, Walker 2001b) puis à Sakhaline, et comme Miyazaki rendra hommage, en 1997, aux Emishi, aborigènes du Japon oriental, persécutés à partir du VIIIème siècle par un pouvoir central converti à la culture chinoise... L'une des scènes les plus belles, poignantes et haletantes du film est celle de la tempête de neige dans les roseaux du lac Khanka où grâce à sa dextérité et sa vigueur, Dersou sauve la vie d'Arseniev, à l'endroit même où les japonais seront repoussés en 1938... La théorisation de l'ascendance préhistorique du tigre de Mandchourie, telle qu'établie par Baïkov, influencera directement Pierre Benoit dans son roman "Le désert de Gobi", publié en 1941. Le dessinateur coréen Ahn Soo Gil (mort en 2005), a rendu, à partir des années 90, un hommage vibrant au Grand Van (affublant même parfois ce dernier d'une sorte de crinière qui lui donne une apparence proche de celle d'un lion des cavernes ). 

Influences baïkoviennes, une curiosité française. En 1941, Pierre Benoit s'appuie explicitement sur les travaux de Nicolas Baïkov dans son roman "Le désert de Gobi", qui raconte la recherche et la capture d'un tigre immense en Mongolie chinoise dans les années 20, et dépeint l'atmosphère de l'époque en Mandchourie et en Corée sous occupation japonaise, dans la Chine des seigneurs de la guerre, et à Singapour sous administration anglaise. En 1925, dans son mémoire "Manchzurski tigr", l'explorateur russe considérait le tigre mandchou comme descendant en ligne directe du Machairodus préhistorique (qu'il nomme également "tigre des cavernes"). Son sujet d'étude était à ses yeux un rescapé de la Préhistoire, et sa dénomination de tigre "à fourrure" doit être comprise comme l'exact équivalent de celle qui, précisément dans les mêmes termes, concerne le mammouth et le rhinocéros de la même époque. Benoit le cite abondamment, et met en scène un véritable Moby Dick tigréen, dont la lignée s'est rabattue sur les yacks et chameaux sauvages après la disparition des mammouths et des rhinocéros. L'animal a une taille double de celle des grands mâles mandchous (corps de 5,60m, tête aussi grosse qu'un tonneau). Sa fourrure est d'une blancheur pelucheuse et moirée, son regard émeraldien possède une intensité phosphorescente dans l'obscurité... Maître absolu d'un espace minéral, il trône sur un belvédère de granit, évoquant le "lion des rocs" dans sa muraille de basalte ( Rosny - Aîné 1920) : "... dans un large repaire, se dressa une bête formidable. On n'eût pu dire si elle ressemblait plus au tigre qu'au lion. Elle portait une crinière noire, son poitrail se déployait comme le poitrail des gaurs ; allongée, sinueuse et toutefois trapue, elle dépassait par la stature, comme par l'épaisseur de ses muscles, tous les carnivores. Ses yeux immenses jetaient, selon les jeux de la pénombre, des feux jaunes ou des feux verts". Comme le tigre du Gobi magnifie le tigre de Mandchourie, le félin géant de Rosny magnifie le lion de l'Atlas en train de s'éteindre. Le thème de son roman "préhistorique", une alliance entre un prédateur géant et une communauté humaine, peut aussi être interprété comme un hommage posthume à celui qui fut, pour l'Empire français, l'équivalent du tigre mandchou pour la Russie. Le premier s'est finalement éteint au début des années 60, le second a survécu au XXIème siècle, du fait d'une alliance effective et concrète passée avec lui par son environnement humain.

LA MORT DU TIGRE BLANC. Une fois capturé, le Moby Dick tigréen de Pierre Benoit perd sa couleur d'un blanc éclatant, puis est envoyé au zoo de Sydney... En 1950, un tigre de 400kgs est abattu dans la cordillière de Sikhote Alin (peut être par Vsevolod Syssoev). On n'en  rencontrera plus de son volume par la suite. Le dernier ouvrage de Nicolas Baïkov s'intitule "Adieu, Chou Hai". La Chou Haï signifie, pour les habitants de la taïga et de la forêt mixte mandchoue "L'OCEAN D'ARBRES". Privé de son "bain de forêt" (le Shirin - yoku des japonais) aussi vital pour lui que l'eau pour un poisson, il va se putréfier à Brisbane "comme ces vieux cachalots qui pourrissent seuls au milieu des glaces" (Francisco Coloane, Le sillage de la baleine)...

Nikolai Apollonovich Baikov : biographical outline and bibliography / by V.N. Jernakov Melbourne : University of Melbourne, 1968 19 p. https://catalogue.nla.gov.au/Record/1898491

 

 

Il existe un lien intime entre l'épopée des cachalots du Pacifique et celle des tigres de l'Amour. La seconde a été provoquée par la première. Tout était joué en 1842 (30 ans avant la naissance de Baïkov et d'Arseniev), quand, sous la pression états-unienne croissante, Mouraviev abandonna la défense de "La Russie d'Amérique", alors qu'au début du siècle, le Pacifique était encore "un lac russe" (selon Michel Poniatowsky, dans son ouvrage sur le sujet publié en 1978 aux éditions Perrin), et décida de "mettre le paquet sur "le Paradis Amourien" selon ses propres termes...

Il fut un temps où il y avait 2500 cachalots blancs dans l'Océan Pacifique (déduction faite des estimations d'Aaron Thode à partir des effectifs actuels, dans "White Sperm Whales, the gentle giant documentary, 4 mars 2015, 43mm).

 https://www.youtube.com/watch?v=qCCkg5OJfzU

Cette population de géants marins faisait face à celle, de même ampleur, des tigres de l'Amour ("L'Amour est éternel", mis en ligne le 17 février 2015). La remontée des effectifs des seconds appelle une restauration des premiers. Et en hommage à Okkotonushi, la Grande Baleine blanche de montagne ("Le Passeur" mis en ligne le 23 avril dernier), une descrption d'Arseniev, dans "Dersou Ouzala" : " Le sanglier d'Oussouri ressemble au sanglier japonais. Son poids peut atteindre 250kgs environ. Les défenses du mâle sont très pointues, elles ont parfois vingt centimètres de longueur. Comme le sanglier aime à se frotter contre les pins et les cèdres, son poil est souvent mêlé de résine. En hiver, il se couche dans la boue, l'eau gèle sur son corps et les glaçons ainsi formés sont si épais qu'ils entravent ses mouvements."

AU REVOIR, OCEAN. A BIENTÔT.

 

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