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17 février 2015 2 17 /02 /février /2015 06:08

Ce texte s'inscrit dans la continuité de celui du 18 janvier : "Epopée salvatrice".

UNE REALITE BLOTTIE DANS LA GUEULE DU TEMPS : 2500 TIGRES DU NORD, POUR LES SIECLES DES SIECLES.

Il n'y a qu'une chose qui compte : vivre. Pour voir le grand jour se lever et la lumière envelopper le monde. Proverbe Inuit

Voici que l'Aube grandit, voici venir l'Aurore. Paul Verlaine

Par delà l'Espoir et le Désespoir, il y aura toujours le Félin Géant. Joseph Henri Rosny - aîné

Préambule : Hier, j'ai relayé sur ce blog les indications officielles russes selon lesquelles les effectifs de tigres dans l'extrême - orient de ce pays étaient stables depuis dix ans. Ce n'est pas ce que j'avais prévu, ayant pronostiqué, à plusieurs reprises, sur ce même support, une hausse significative. Ou je me trompe fort, ou ceci est en lien avec la gestion du temps des annonces quant à l'objectif (à caractère d'engagement international) de doublement de la population d'ici 2022. Je renvoie en tout état de cause à mes pages du 17 janvier "Chiffres politiques et réalité" et du 25 janvier, "Et maintenant, la bataille des corridors" (2ème partie : "Enfumage médiatique grossier").

Introduction : Une vision panoptique nous étant structurellement interdite, j'ai pensé qu'un croisement d'approches aurait peut être au moins le mérite d'éclairer tant soit peu la nature et la dynamique du processus historique à l'oeuvre depuis 140 ans, dont le point nodal est le TIGRE DES NEIGES D'ASIE SEPTENTRIONALE EN LUTTE POUR SA SURVIE, et qui est arrivé, me semble t-il, aujourd'hui, à un basculement rééquilibrateur. J'ai donc choisi des analyses respectivement écologique, civilisationnelle, et magico - religieuse (chamanique) du phénomène, dont la confluence peut aider à la compréhension. L'approche écologique concerne la période 1875 - 2015. Elle met en lumière le génocide que subit ces animaux, mais qui, à l'inverse du destin fatal de congénères pourtant plus nombreux, ne va jamais à son terme, une fraction de survivants parvenant de façon récurrente à vivre et prospérer dans des sanctuaires provisoires et successifs : Corée, Chine, Russie, Corée du Nord. De fait, le tigre des neiges n'a été en danger immédiat d'extinction que dans les années 1990. Ce ne fut notamment pas le cas dans les années 30 et 40 car les populations de Chine du Nord restaient importantes à cette époque. L'approche civilisationnelle concerne les mutations politiques et culturelles, au cours de cette période, dans quatre pays directement impliqués : Russie, Chine, Corée, Japon. L'approche magico - religieuse concerne la période / cycle 1916 - 1997 et s'articule sur l'interprétation de "signes" intervenus à trois moments - clés de cette période : temps inaugural : deuxième moitié des années 1910, temps médian : 1935 à 1950, scansion terminale : 2 juillet - 21 décembre 1997.

APPROCHE ECOLOGIQUE. Les tigres des neiges n'ont jamais été très nombreux. Habitués à un vaste territoire, leur densité doit être faible pour que la population vive en équilibre. Avant la deuxième moitié du XIXème siècle, 2500 tigres des neiges vivent sur un espace qui va de la Yakoutie au Nord, jusqu'à la Corée méridionale ( île Chin - Do incluse) et au golfe de Bohaï chinois au Sud, à la mer du Japon et l'île Sakhaline à l'Est, à la Mongolie septentrionale à l'Ouest. Ce territoire d'un seul tenant constitue LE PAYS DES TIGRES DU NORD, dans le sens politique du terme. L'arrivée des russes dans cet espace à partir des années 1850 perturbe cet équilibre. A partir de 1875, les tigres commencent à refluer dans des proportions significatives, essaimant tous azimuts.

Le sanctuaire coréen. Dans cette péninsule, les grands félins trouvent un havre de paix relatif. Au début du siècle dernier, une Corée intacte grouille littéralement de tigres et de léopards, comme l'indiquent de très nombreux témoignages (Corée. Voyageurs au pays du matin calme. Textes réunis par Loïc Madec et Charles - Edouard Saint - Guilhem. Editions Omnibus. 2006) contrairement à une Mandchourie dévastée (contraste observé notamment par Louis Marin en 1901). Un abri mis à mal. A partir de 1904, les japonais posent une main ferme sur la péninsule coréenne (sous leur contrôle de fait depuis 1893, celle - ci sera formellement annexée en 1910). Dans un premier temps, les occupants interdisent les armes à feu aux autochtones, ce qui détériore complètement le rapport de ceux - ci aux grands félins, très harmonieux jusqu'alors. Un véritable cauchemar s'abat sur le pays, les conflits se multiplient, prenant souvent une tournure particulièrement dramatique, les fauves en surnombre ayant perdu toute timidité (les léopards plus encore que les tigres). Les habitants en viennent à mettre le feu à leurs forêts pour en déloger leurs prédateurs... En 1917, des japonais organisent des équipes de chasse (Jeonghojun). Le plus célèbre est un homme d'affaires, Tadasaburo Yamamoto, qui écrira un livre ("Jeonghoki") sur l'équipée qu'il organisa pendant un mois de l'hiver 1917. Officiellement, entre 1919 et 1942, les autorités militaires de l'occupant organiseront l'abattage d'une centaine de tigres et de 624 léopards. Il n'y a plus un seul tigre en Corée en 1944, quelques léopards y survivront de plus en plus misérablement jusqu'au tout début des années 70... Dans le même temps, les Russes, plus au Nord,continuent leur pression sur les tigres des neiges, et en Asie centrale, exterminent en quelques décennies les tigres des roselières, qui étaient entre 15000 et 20 0000 au début du siècle...

Le sanctuaire chinois. A partir de 1932, les japonais mettent la main sur la Mandchourie chinoise, que les russes ne contrôlaient de toute façon plus que partiellement et en intermittence depuis 1905. Mais les tigres s'y épanouissent malgré tout jusqu'au golfe de Bohaï. Selon le spécialiste coréen Lim Sun -nam, jusqu'à un millier d'individus y prospèrent quasiment jusqu'en 1950.

Le sanctuaire russe. Dans les années 30, il ne reste plus que quelques dizaines de tigres des neiges en Russie orientale (Transbaïkalie). Leur protection de plus en plus affirmée entre 1935 et 1950 va progressivement restaurer leurs populations. Celles - ci iront jusqu'à approcher le millier d'individus dans les années 70 . Dans le même temps, l'arrivée au pouvoir de Mao Zé Dong brise le sanctuaire chinois. En Chine du Sud, les tigres des forêts de frênes sont exterminés en un quart de siècle. Ceux ci étaient entre 4000 et 10 000 avant 1950. Les tigres des neiges subissent progressivement le même sort. Ils passent de 1000 en 1950, à 150 en 1970, puis à 10 à la fin du siècle dernier.

Le sanctuaire nord coréen. A partir des années 1980, la Russie entre dans un nouveau "Temps des Troubles". C'est la "Katastroïka", qui se solde par la destruction de l'URSS, puis par le risque de dislocation et de dissolution de la Russie elle - même. C'est à ce moment que les destins de la Russie et du tigre confluent. Jusque dans la deuxième moitié des années 90, la Russie s'affaiblit, part en morceaux, et ses tigres sont vendus à l'encan en pièces détachées malgré les efforts admirables, à partir de 1995, des hommes de "l'inspection tigre". Le dernier refuge des survivants devient la Corée du Nord, et notamment la région du mont Baekdu (un rapport très complet a été établi sur cette question en 1998 par Dale Miquelle et son équipe auprès des Nord Coréens, document que je tiens bien sûr à disposition de qui le souhaite). Si la Russie n'avait pas commencé à se relever à partir de 1998, le tigre du Nord aurait été rapidement déclaré éteint par la communauté scientifique internationale. En réalité, quelques dizaines d'individus auraient continué à survivre dans certains espaces montagneux Nord Coréens. Dès avant cette époque et jusqu'à aujourd'hui, il a été officiellement reconnu internationalement l'existence de 13 pays hébergeant des tigres sauvages (certains d'entre eux n'en ont manifestement plus, comme le Cambodge). La Corée du Nord n'en fait pas partie...

Situation actuelle. A partir du XXIème siècle, les tigres restaurent progressivement leurs populations en même temps que la Russie reconquiert sa souveraineté. Aujourd'hui, les grands félins sont environ 500 (estimation basse) dans ce pays. Depuis l'an dernier, les Russes commencent à réintroduire des tigres dans des zones de leur extrême - orient d'où ils avaient disparu depuis des décennies au moins (le Birobidjan, la région de l'Amour - en attendant le sud de la Yakoutie -). Au début 2014, ils étaient présents uniquement dans les districts de Khabarovsk et du Primoryé. En 2012, un accord a été passé avec les coréens du Sud pour une réintroduction de tigres de l'Amour dans ce pays. Par ailleurs, les Russes préparent le retour du tigre dans les roselières de l'Est du Kazakhstan pour 2019, avec l'objectif d'une population de 100 à 200 individus dans quelques décennies, et les Chinois font de même, bien qu'à une échelle plus modeste, pour leurs tigres des forêts de frêne dans deux zones méridionales du pays.

APPROCHE CIVILISATIONNELLE. Les quatre pays considérés ici sont indissolublement liés culturellement aux tigres du Nord. Le maëlström du XXème siècle a failli rompre ce lien pour les uns, l'empêcher de s'épanouir pour les autres. La modernité a en effet transformé les sociétés humaines en armes de destruction massives aveugles,servies par des soldats sans âme ("Je suis le bruit et la fureur, le tumulte et le fracas"). Le siècle dernier fut en effet, la pleine expression d'un durcissement identitaire d'une pensée moderne aux abois, dont la dissolution au cours du siècle présent est programmée.

La Corée. La culture coréenne du tigre du Nord est la plus ancienne, la plus structurée, cohérente, aboutie qui soit au Monde. Les Coréens se vivent comme les hommes tigres, et vivent leur péninsule comme le pays - tigre. Le tigre coréen est intimement lié à l'Esprit de la Montagne. En Corée, les montagnes sont sacrées, notamment le Baekdu au Nord, et le Kongo - san (la montagne du diamant) au Sud. Pendant l'occupation japonaise, les occupants plantaient des piquets de fer dans celles - ci, pour désactiver leur puissance spirituelle et protectrice. Ils harponnaient ainsi ces baleines terrestres gigantesques, pour détruire leur Vie. Dangun, le fondateur légendaire de la civilisation coréenne, en 2333 avant J.C., est le fils d'une ourse (en compétition avec une tigresse). Il se serait désincarné en Dieu des montagnes dans le Baekdu - san à l'âge de 1908 ans. La mort d'un tigre au sommet du mont Baekdu, dans la caverne du Grand Esprit du Dragon, provoque un tremblement de Terre (le Baekdu est célèbre pour ces gigantesques éruptions, notamment en 946 et 1903). l'Âme d'un grand homme peut venir habiter le corps du tigre, puis quand celui ci meurt, il passe dans une fleur de lotus invisible aux humains. La fleur du lotus jaune ne s'ouvre qu'une fois tous les cinquante ans, au moment où trépasse le Tigre, et ne fleurit que trois jours... Les aléas politiques du siècle dernier ont donc été un drame MAJUSCULE pour la Corée, colonisée et privée de ses tigres (et de ses léopards) puis coupée en deux. Le dessinateur Ahn Soo - gil, mort en 2005, a consacré l'intégralité de son oeuvre aux tigres coréens. Il est, depuis quelques années, publié en français. Lim Sun - nam a travaillé avec acharnement, avec d'autres, pour élaborer le plan de réintroduction avec les russes. Et cette année, se monte le film "Dae - Ho" (Le Grand tigre), de Park Hoon -jeong, avec Choi Min -sik et le japonais Ren Osugi, qui compte l'histoire d'un chasseur coréen désigné par l'occupant japonais pour tuer le dernier tigre de la péninsule...

Le Japon. Pays fondé par des Coréens, il partage donc l'essentiel de leur culture, notamment celle des montagnes sacrées. La chasse au tigre a toujours été répandu dans la classe guerrière lors des campagnes en Corée et en Chine. La plus célèbre est celle d'Hiyedoshi en Corée de 1592 à 1598, où s'illustra particulièrement Kato Kiyomasa, par l'épieu et même par la force de l'Esprit... Comme tous les pays au Monde, le Japon connaît une pathologisation de sa culture quand il entre dans la Modernité (début de l'Ere Meiji en 1868). Il est un des très grands acteurs des crimes gigantesques contre les hommes, les tigres, les baleines perpétrés au siècle dernier. En 1984, c'est le japonais Akira Kurosawa qui mettra à l'écran, en un film inoubliable, le "Dersou Ouzala", livre de l'officier topographe Vladimir Arseniev publié en 1923, en un hommage vibrant au tigre, aux hommes et à la nature mandchoue. Voir aussi le terrible non dit de l'auteur vis à vis de la version complète du texte d'Arseniev et de l'extermination des Nanaïs qu'il symbolise sans l'expliciter dans la scène finale du film, dans Solovieva (O. V). 2010. The erased grave of Dersu Uzala : Kurosawa's cinema of memory and mourning. Journal of Japanese and Korean Cinema 2, (1), 63 - 79. Hayao Miyazaki, le célèbre réalisateur de dessins animés des Studios Ghibli, à la sensibilité si particulière, est vraisemblablement, comme nous le verrons dans la dernière partie de ce texte, intimement lié au tigre du Nord. Ahn Soo -gil, le dessinateur coréen mentionné plus haut, a connu son plus grand succès éditorial au Japon. Le film coréen "Dae Ho" mentionné plus haut, est réalisé en collaboration avec les japonais.

La Chine. Culture du tigre profuse extrêmement riche, elle procède de celle d'Asie centrale pour le tigre des roselières, de celle d'Asie du Sud pour le tigre des forêts de frêne, de la Corée et des peuples sibériens et de Sakhaline (Goldes, Oudeghes, Aïnous) pour les tigres du Nord. Les Chinois ont traditionnellement été quasiment aussi respectueux pour ces derniers que les coréens. Les grandes chasses aux tigres des neiges ont été le fait des classes supérieures d'origine mandchoue ou mongole, plus que des chinois eux mêmes. La modernité s'est abattue sur ce peuple sous la forme du communisme en 1948, et ce fut le déchaînement de l'horreur. Mais ce drame gigantesque coïncide, et là est toute la difficulté, avec la restauration de la souveraineté chinoise, qui était en crise majeure en tous domaines, depuis les années 1820 puis 1850... Aujourd'hui, les Chinois commencent à nouveau à porter un regard intéressé et intéressant sur les grands prédateurs (tigres, mais aussi loups). Même si l'on part de très bas, les tigres des neiges sauvages sont quatre fois plus nombreux en Chine du Nord aujourd'hui qu'à la fin du siècle dernier, et la coopération avec les russes s'intensifie. Comme mentionné plus haut, une réintroduction de tigres de Chine du Sud est sur de bons rails. Par ailleurs, l'approche de l'opinion publique, particulièrement dans les milieux urbains, jeunes et cultivés, sur les animaux sauvages en général et le tigre en particulier, se rapproche à grande vitesse des sensibilités japonaise et coréenne actuelles. Désormais, réduire la Chine dans son rapport au grand félin à un étal de boucher où une boutique d'apothicaire est une caricature ridicule. Le pays, de plus en plus confiant dans sa puissance, est désormais prêt à surprendre agréablement, comme des indices de plus en plus nombreux l'indiquent. Nous en reparlerons.

La Russie. Ce pays n'avait pas de culture du tigre du Nord jusqu'à ces dernières décennies. Historiquement, les tigres furent présents en Russie européenne au moins jusqu'à la fin du règne d'Ivan III, au début du XVIème siècle. Mais cet animal ne parvint pas à se maintenir, peut être assimilé à la steppe, au nomade, à l'ennemi, contrairement à l'ours ressenti comme un proche parent. La Russie n'accèdera pleinement à la souveraineté territoriale et politique, dans la deuxième décennie du 17ème siècle, que pour tomber dans une modernité "à l'européenne" sans rapport avec la culture slave traditionnelle. Dans les années 1850, quand ils investissent "Le paradis Amourien", les Russes le font dans un esprit analogue à celui des anglais et français en Amérique du Nord. Les baleiniers sont de la partie, et l'été, on fait pousser des melons et des pastèques dans le Lac Khanka (ce même lac où l'hiver quelques décennies plus tard, Dersou construit à toute allure une cabane de roseaux pour empêcher Arseniev de mourir de froid, dans une scène inoubliable du film de Kurosawa). Toutefois, progressivement, comme la Corée a impacté culturellement le Japon, l'Amour a impacté la Russie. Et à partir des années 50, l'URSS a réussi à protéger in extremis ses tigres des neiges. Ces dernières décennies, la Russie a failli subir le sort de la Corée à partir des années 10, et du Kazakhstan à la fin des années 20 et au début des années 30 (Destruction politique et culturelle d'une violence inouîe, asservissement des hommes et anéantissement des tigres). Mais si elle est entrée dans la Modernité à l'issue de son premier Temps des Troubles (début du 17ème siècle), c'est peut être à l'issue du second (1991 - 1998) qu'elle va en sortir. Je ne vais pas m'étendre là dessus, ayant explicité les choses en détail dans mon texte "Terre et Mer ; les matrices de l'Avenir, printemps 2014, téléchargeable au format PDF à partir de la page d'accueil de mon site "4 continents pour les tigres". Je rappelle simplement qu'à partir de 1995, le pays a eu une réaction désespérée de survie à travers l'opération Amba , pour que, dépossédé de tout, il parvienne au moins à conserver ce joyau. En décembre 1997, la mort de deux hommes dans des conditions cauchemardesques, sous les crocs d'un tigre, dans la vallée de la Bikine (District du Primorye) a été un révélateur traumatique de la situation des hommes et des animaux. L'histoire a fait l'objet d'un livre par John Vaillant en 2010 (version française 2011) qui a le souffle épique de Moby Dick. Le pays a finalement recouvré sa souveraineté avec Evgeni Primakov puis Vladimir Poutine et assuré la survie de ses grands félins. En 2010, le sommet du Tigre de St Petersbourg aura été le premier de ce genre organisé en Europe, et le plus important de l'Histoire dans son audience comme dans ses conséquences. Aujourd'hui, la Russie est aux côtés des cultures brisées (Corée, Kazakhstan) pour leur apporter l'agent le plus approprié pour leur restauration. Confluence de destins.

APPROCHE MAGICO - RELIGIEUSE.

Temps inaugural : ouverture du cycle.

Vaine tentative d'oblation. Nicolas Baïkov fait terminer sa nouvelle "Le Grand van, histoire d'un tigre de Mandchourie", dont l'essentiel se déroule en 1916, par la tentative désespérée et vaine de Toun - Lin, un trappeur chinois respectueux des lois traditionnelles de la taïga, de rétablir l'ordre du Monde face aux bouleversements, conflits, malheurs et destructions provoqués par l'arrivée du chemin de fer sur le territoire du Grand Van, le tigre Maître de la région. Le vieux trappeur considère qu'il doit se livrer volontairement en sacrifice à celui dont le caractère divin est une évidence à ses yeux. Mais le vieil homme arrive trop tard. Le tigre a été abattu. De ce lieu, de ce jour, le Monde entre alors dans un cycle maudit.

Dieu de haine et de fureur. A la même époque, les habitants de l'île de Chin -Do, au sud ouest de la péninsule coréenne, évoquent les ravages d'un tigre immense, vieux de plus de 20 ans, et dont le corps est recouvert de boue et de résine auxquelles les feuilles et l'herbe sont collées. Leurs fusils sont inefficaces contre une telle créature et ils se disent impuissants à s'en délivrer.

Temps médian : confrontation du Bien et du Mal.

1935 : La région de Sikhote - Aline devient réserve naturelle le 10 février. Elle constitue, avec 1000 000 d'hectares, la plus vaste réserve naturelle au Monde. La même année, sort le film "Aerograd" d'Alexandre Dovjenko, à la gloire de la mise en coupe réglée de l'extrême orient russe. Aerograd est une ville en projet, mais qui finalement, n'est pas construite. Le personnage le plus emblématique du fim est Stepan Glouchak, un Dersou Ouzala soviétique, dont les vertus propres, au même titre que celles d'Enkidu l'homme sauvage, auprès de Gilgamesh, ou le Bushido des guerriers japonais, participent au premier chef à l'aggravation des malheurs du Monde dans le contexte de la Modernité triomphante.

1939 : Lev Kaplanov, le premier scientifique à étudier le tigre dans la Nature sans chercher à l'abattre, promeut à corps et à coeur sa méthode et la protection du tigre. Il est l'anti Stepan Glouchak. La même année, publication du livre "Le Maître et Marguerite" de Mikhaïl Boulgakov, où un chat noir gigantesque mephistophélien du nom de "Behemoth" finit par mettre le feu à Moscou. Mais cet incendie est libérateur, contrairement à ceux provoqués par le mongol Tokhtamich en 1382 puis le tatar Devlet Girai en 1571. L'étrange félin géant, pourtant désigné comme diabolique, n'a pas la connotation négative du tigre nomade...

1943 : Au printemps, Lev Kaplanov meurt assassiné par des braconniers. Son corps est transporté sur un brancard constitué de branches de cerisiers en fleurs. Entouré de sakuras, le corps glorieux du christique Kaplanov est -il celui d'un Suzaku (Phoenix)? De nos jours, vit - il dans le corps d'un tigre, puis plus tard, dans un lotus jaune?

1947 : 12 février : une météorite métallique géante de 70 tonnes s'écrase sur la cordillère de Sikhote - Aline. La même année, le tigre de l'Amour est officiellement protégée en URSS. C'est le premier tigre au Monde qui fait l'objet d'une telle mesure de protection.

1950 : Malgré la protection officielle dont l'animal bénéficie,un tigre immense de 400 kgs est abattu dans la cordillère de Sikhote - Aline. Plus jamais on ne verra un animal de ce volume, comparable à celui des plus grands félins de la Préhistoire.

Scansion terminale : fermeture du cycle.

L'appel : Le 2 juillet 1997, sort en salles "Mononoke Hime" ("La Princesse des esprits vengeurs"), dessin animé de Hayao Miyazaki. Cet "esprit vengeur" est un sanglier géant qui combat avec fureur pour sauver la forêt. Il porte le nom de Nago, qui est aussi la cité des dugongs et des requins baleines à Okinawa (voir sur ce blog le 6 juin 2010 : "Âmes élevées", et sa connection explicite avec l'Esprit de Miyazaki). Son apparence monstrueusement hirsute évoque le sanglier mandchourien décrit par Vladimir Arseniev dans "Dersou Ouzala" : le corps enduit de résine de pins, où les glaçons se fixent et gênent l'animal dans ses déplacements. On peut supposer qu'après avoir vu le film de Kurosawa, Miyazaki a souhaité lire le livre et s'est inspiré de cette description. Mais celle - ci évoque aussi le tigre de Chin- Do au corps recouvert de boue et végétation... Le sous titre du film est la formule suivante : "Le destin du Monde repose sur le courage d'un seul guerrier."

La venue : Le 3 Décembre 1997, un tigre tue un homme sur la commune de Sobolonye (vallée de la rivière Bikin, district du Primorye près de sa maison et s'acharne sur lui : on retrouve les restes éparpillés sur 1km2. L'enquête établit que l'animal vouait une véritable haine à sa victime, après des interactions conflictuelles successives. Il détruit, quelques jours après, la cabane de chantier où l'homme avait ses habitudes, et ce en plein jour, devant des ouvriers terrorisés et cachés dans des bureaux et des remises. Le 12 décembre, il tue un deuxième homme dont il ne laisse pratiquement rien. Le 21 décembre, il est abattu in extremis par le chef de l'Inspection Tigre une fraction de seconde avant de terrasser son adversaire. Cet épisode bouleversant laisse une impression terrible dans la région. Tous les témoins, et pas seulement eux, ont vu une force souterraine sismique plus qu'un animal, un esprit de la forêt, Amba, d'un type particulier : l'Egoule, l'Esprit vengeur, homologue du MONONOKE nippon. Il est abattu le 21 Décembre, sacrifice solsticial (et oblation efficace dans sa fonctionnalité) qui marque la fin du 2ème "Temps des Troubles", du cycle maudit du XXème siècle, et qui porte le coup fatal à l'Ere Moderne. En 1851, Herman Melville, dont la nouvelle : "Moby Dick" venait de sortir, en apprenant la destruction du navire Ann Alexander par un grand cachalot mâle, avait explicitement craint que son ouvrage ait "appelé" l'animal. Miyazaki a t-il appelé le Mononoke Tora de la rivière Bikin?... Les évènements de Décembre 1997 dans le Primorye font étonnament écho à ceux de Décembre 1915 sur Hokkaïdo où un ours brun de l'Oussouri tua directement 7 personnes, provoqua indirectement la mort de plusieurs autres et l'abandon d'un village par ses habitants...

http://en.wikipedia.org/wiki/Sankebetsu_brown_bear_incident

CONCLUSION : Les tigres du Nord vont revenir progressivement à leur étiage d'antan. "Le Grand Van" de Nicolas Baïkov se termine ainsi. "Mais il viendra un temps où le Grand Van se réveillera et fera retentir, à travers monts et forêts, sa voix puissante que vont répéter des échos sans fin. Le ciel et la terre en frémiront et commencera à éclore, en beauté incomparable, la fleur sacrée du Lotus." Dangun, le Baekdu, la Corée, et un Behemoth en robe héraldique, immense comme aux plus beaux jours.

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  • : Les tigres et autres grands félins sauvages ont vécu en Europe pendant la période historique.Leur retour prochain est une nécessité politique et civilisationnelle.
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