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17 février 2016 3 17 /02 /février /2016 06:26

"Dae - Ho", film coréen, sorti en salles le 16 décembre dernier. Il raconte l'alliance d'un chasseur et d'un tigre contre l'occupant japonais.

http://www.koreatimes.co.kr/www/news/culture/2016/01/141_196551.html

Cet article est un complément à "Le Tigre du Nord : Fer de lance de l'Avenir", paru ce mois - ci dans La Lettre de la SECAS 83, 4 - 8.

Il est aussi une suite à "Sous la forêt, un royaume", sur ce blog le 12 juin 2012.

http://europe-tigre.over-blog.com/article-sous-la-foret-un-royaume-106807422.html

Driscoll (C) & collaborateurs. 2009. Mitochondrial phylogeography illuminates the origin of the extinct Caspian tiger and its relationship to the Amur tiger. Plos ONE, 4 (1).

Le déploiement historique du tigre, avec, comme dernier grand épisode en date, le retour d'une population de "tigres de la Caspienne" ("Panthera tigris virgata") vers l'Est (D) dont les descendants constituent les "tigres de l'Amour" actuels ("Panthera tigris altaïca").

Pourquoi certains tigres d'Eurasie occidentale sont - ils repartis vers l'Est au début de l'époque moderne? Ils ont été bousculés par la traite russe de la Zibeline*. Comme les trappeurs français ("indiens blancs") conquièrent le Canada sur leurs canoës en poursuivant les castors, les cosaques s'emparent de la Sibérie sur leurs stougs (barques monoxyles en bois de tilleul) à la recherche des zibelines (sobolj'). La demande de fourrure, aux caractéristiques particulières, de cet animal ne cessera d'augmenter lors du Petit Âge Glaciaire (de 1350 à 1850). "The history of the conquest of Siberia has been called a "unitary trade expedition for sable" (Paul Josephson & collaborateurs. 2013. An environmental history of Russia. Cambridge University Press).

De nombreux animaux seront les victimes secondaires de cette traite. Beaucoup d'entre eux seront repoussés à l'Est, d'autres disparaîtront purement et simplement. Les tigres et les descendants d'Elasmotherium (rhinocéros unicornes "préhistoriques") présents à l'Ouest de la Volga ont vraisemblablement disparu à cette époque, tués notamment par des cosaques et des chasseurs finno - ougriens et mongols. Ceux - ci alimentaient le comptoir arctique de Mangazeïa en fourrures, ivoire de morse, et d'autres "produits" plus méridionaux, comme le caviar d'esturgeon, les peaux de tigre et les cornes de rhinocéros, comme certains indiens d'Amérique du Nord approvisionnaient les pelletiers européens en fourrure de castor et autres animaux. Ce comptoir de Sibérie occidentale, ouvert en 1601, était de fait sous contrôle anglais, comme Arkhangelsk, plus à l'Ouest, était sous contrôle hollandais (B.. Vianey. 2013. Le voyage de Jean Sauvage en Moscovie en 1586. Editions l'Âge d'Homme). Un siècle et demi plus tard, de la même façon, les rhytines de Steller seront des victimes secondaires de la traite des loutres marines (Fabrice Genevois. 2012. Le crépuscule des vaches de mer. Editions Le Guetteur).

Pourquoi ont - ils survécu à l'issue de leur fuite ? Ils ont été sauvés par les changements politiques en Chine, et l'arrivée au pouvoir d'une culture de chasseurs - cueilleurs.

LA PALISSADE DE BOIS DE SAULE (Chine toungouse, Mandchourie profuse) . Il y a 400 ans, les toungouses s'émancipent du pouvoir politique chinois, et quelques décennies plus tard, en deviennent les maîtres. Les nouveaux dirigeants, soucieux de préserver le berceau de leur communauté ainsi qu'une formidable "réserve de chasse" interdisent aux hans toute activité agricole dans la région. En plus des mesures législatives, ils érigent une palissade géante en bois de saule, tridentée. La section méridionale fait obstacle aux paysans chinois, la section orientale aux mongols, et la section septentrionale aux russes, vaincus et repoussés en 1650. Tigres et léopards s'épanouissent ainsi dans un environnement n'ayant rien à envier à celui du Pleistocène, sur un espace qui englobe alors ce qui correspond aujourd'hui à la péninsule coréenne, le Nord Est Chinois, une fraction de la Mongolie, et l'extrême orient russe.

Les Mandchous utilisent parfois le vocable "AMBA" pour désigner le rang de chef. Ce terme est habituellement employé pour désigné à la fois le tigre et l'esprit dont il est le véhicule (John Vaillant. 2011. Le Tigre. Une histoire de survie dans la taïga. Editions Noir sur Blanc. Note infrapaginale page 152).

Les dirigeants mandchous sont de grands chasseurs de tigres. l'Empereur Kangxi en tua 135 au cours de son règne (Isabelle Charleux). Et en 1721, il convia l'ambassadeur de Russie à la mise à mort sportive de trois tigres qu'on avait conservés captifs à cet effet. Ayant renoncer à chasser lui - même ces animaux dans la Nature comme il l'avait fait dans sa jeunesse, il se délectait encore à ce genre d'amusements (Xavier de Planhol. 2004. Le paysage animal. L'Homme et la Grande Faune : une zoogéographie historique. Editions Fayard, note infrapaginale page 605). Les Mongols considèrent Kangxi comme un successeur de Gengis Khan. Les populations du Sud -Ouest de la Chine font de lui un "chasseur repenti" qui devient un sage et un protecteur des hommes comme des tigres (Isabelle Charlieux. 2011.Kangxi / Engke Amuyulang, un empereur mongol? Sur quelques légendes mongoles et chinoises. Etudes mongoles et sibériennes, centrasiatiques et tibétaines, 42.)

*La première réserve naturelle russe des temps modernes fut instituée le 11 janvier 1917 à Barguzin, sur la côte Nord - Est du lac Baïkal, avec pour objectif principal la protection des dernières zibelines de la région.

"A Russian tiger's hunter in Korea", sur ce blog le 31 août 2012.

http://europe-tigre.over-blog.com/article-a-russian-tigers-hunter-in-korea-109596785.html

LA "PETITE MANGAZEÏA" NORD - COREENNE. Au cours de la première moitié du siècle dernier, les russes détruisent les tigres d'Eurasie occidentale (l'armée est officiellement chargée de les abattre en 1912, date à partir de laquelle ils sont considérés comme de la "vermine économique", et ceci induira la destruction de la civilisation nomade d'Asie centrale, puis de la mer d'Aral). ils exterminent aussi les tigres de Chine du Nord (celle - ci, en proie au capharnaüm politique n'étant plus un sanctuaire efficace pour eux). Pendant ce temps, les japonais vident la Corée des ses grands félins (léopards et tigres, "L'Amour est éternel", publié sur ce blog il y a juste un an aujourd'hui). Au Nord - Est de la péninsule, le russe Yuri Yankovsky organise une station de chasse familiale et propose à l'armée japonaise de l'approvisionner en viande (comme Buffalo Bill avec l'armée américaine). Sa petite entreprise fonctionnera à plein régime de 1922 à 1941 (à la fin de la guerre, Yankovsky sera envoyé dans la zone la plus meurtrière du goulag soviétique : les filons aurifères de la Kolyma, mais il s'en sortira, et il est aujourd'hui l'un des derniers survivants de cet épisode immortalisé par Varlam Chalamov dans ses "Récits de Kolyma").

Yankovsky a des comptes intimes à régler avec le tigre (à 6 ans, son poney a été dévoré par l'un de ces animaux). Il ne présente pas le tigre du Nord comme une vermine économique (comme celui d'Asie centrale) mais politique : la présence de l'animal est, à son avis, intrinsèquement illégitime en ces lieux, et donc parasitaire. Selon lui, le tigre n'est présent en Corée et Mandchourie que par une anomalie de l'Histoire, une coquetterie ou un caprice d'Empereur mongol, qui aurait importé ces animaux d'Inde pour la chasse. Ceux - ci se seraient répandus dans la région et auraient prospéré à l'état sauvage à partir de la désintégration de l'Empire Mongol... Les coréens sont terrifiés par Yankovsky, qu'ils vénèrent comme une divinité puissante et dangereuse. Ils le voient vivre dans un château suspendu au dessus du vide dont une tour est habitée par un dragon. Et selon eux, il se nourrirait exclusivement de steacks de tigre et de vodka...

RETOURNEMENT : ENFER CHINOIS, SANCTUAIRE RUSSE. A partir de la fin de la première moitié du siècle dernier, le retournement est complet. La Russie orientale devient un sanctuaire pour les tigres, alors que le "Han Power" maoïste efface rageusement le symbole le plus emblématique de l'héritage mandchou, au sud (où les tigres étaient encore 40 000 en 1900) comme au Nord (où ils étaient encore 1000, non seulement en Mandchourie mais aussi sur les côtes du golfe de Bohaï) en 1945).

Combat près de Barnaul (Altaï russe). Tableau de Efim A. Tikhmenev (1869 - 1934).

"Je reviendrai, et je serai des millions" Tupac Amaru, 1572.

La réimplantation de tigres dans la partie orientale du Kazakhstan au début des années 2020 retisse des fils rompus depuis le siècle dernier. Les tigres kazaks franchissaient parfois l'Irtych lors de périodes de disette pour chercher fortune dans l'Altaï russe, chinois, voir mongol ("Frontières artificielles" sur ce blog le 25 janvier dernier). Dans le second cas, ils pouvaient atteindre la vallée du lac Hanas, où vivent peut - être des saumons aussi volumineux que des requins pélerins...

Sur le plan taxonomique, ceci met une fois de plus en évidence que tigre "européen", "d'Eurasie occidentale", "de l'Altaï", "de l'Amour" sont, de fait, le même animal. Panthera tigris virgata n'est pas une sous espèce, ni même une variété géographique : ce ne sont que certaines populations, inféodées pendant des siècles aux roselières et aux stries bien particulières résultant de cette adaptation au milieu, qui pourraient être dénommées "virgata". Quant à "Panthera tigris altaïca" (dont on vient de voir l'inanité sémantique), il dénomme encore aujourd'hui, de façon totalement absurde, le tigre de l'Amour... Toute la terminologie taxonomique de ces animaux est à refonder.

Les tigres de Russie du Sud et d'Asie centrale étaient aussi nombreux que les tigres de Chine méridionalecx jusqu'à la fin du XIXème siècle (plusieurs dizaines de milliers). Les espaces susceptibles de les accueillir au cours des prochaines décennies en Asie du centre et du Sud - Ouest offre encore des possibilités pour l'épanouissement d'une ou de plusieurs populations très conséquentes (Driscoll, Pereladova et collaborateurs 2012, voir le détail dans "Forêts mixtes d'Hyrcanie" sur ce blog le 24 janvier dernier).

La démarche "civilisatrice", "moderne", "prométhéenne", "hérakléenne", concerne de nombreuses cultures (voir sur ce blog le 16 septembre dernier "Les gens heureux n'ont pas d'Histoire"). Elle sous - tend l'incompatibilité entre communautés humaines et animaux sauvages, les uns représentant l'Ordre, les autres le Chaos. Son épisode le plus récent (à partir de la fin du XVème siècle) a consumé nature et cultures comme un feu grégeois qui se serait comporté sur la carte du Monde comme une boule de flipper. L'affaiblissement actuel, depuis le début de ce siècle, de cette idéologie nécrosante (la "peste dévorante", du Richard II de W. Shakespeare...) permet le retour d'une pensée plus traditionnelle qui promeut non seulement l'image du Grand Animal Sauvage, mais aussi sa présence effective parmi les hommes.

Actualisation au 28 janvier 2017. Les tigres sont de retour en Corée du Sud (zone méridionale du Baekdu). Ils viennent de Chine. Voir l'article du Hankioreh, ce jour. "After nearly a century, korean tigers back to Baekdudaegan mountain range."

http://english.hani.co.kr/arti/english_edition/e_national/780483.html

Two tigers released at Baekdu-daegan National Arboretum’s tiger forest as part of systematic preservation efforts

Korean tigers have returned to the Baekdu-daegan mountain range for the first time in nearly a century.

 

The Korea Forest Service announced on Jan. 26 that it had transported a pair of male Korean tigers named Duman, 15, and Geumgang, 11, the day before to the tiger forest at the Baekdu-daegan National Arboretum in Seobyeok, a village in the Chuyang township of Bonghwa County, North Gyeongsang Province. Both tigers are named after Korean rivers.

 

Also known as “Mt. Baekdu tigers,” the Korean tigers are returning to the Baekdudaegan range on the southern Korean Peninsula for the first time since the last known example was captured at Gyeongju in 1921.

 

The pair of tigers was donated by China in 2011 through a bilateral forestry cooperation meeting. While the tiger forest was being developed, Duman’s care was entrusted to the National Arboretum in Pocheon, Gyeonggi Province, and Geumgang’s to O-World in Daejeon. Due to their sensitivity, the Korea Forest Service transported the tigers at low speeds in a non-vibration, climate-controlled vehicle, arriving safely at the arboretum late in the afternoon on Jan. 25. An accompanying keeper and veterinarian also inspected the animals’ condition.

 

Duman and Geumgang’s new home, the Baekdu-daegan National Arboretum’s tiger forest, measures 4.8 hectares and was designed with hills, forests, and streams to resemble their natural habitat. Once the forest is complete and the tigers have adapted, the Korea Forest Service plans to open it to the public and introduce another ten or so tigers of outstanding genetic stock, including Geumgang’s daughter Mi-ho.

 

The Korea Forest Service has set up a system of 24-hour care for the tigers, including top-of-the-line medical treatment, and installed barriers around the forest to allow visitors to observe them in safety. Temporarily opened last September, the Baekdu-daegan National Arboretum measures 5,179 hectares in total and is organized for exhibition, research, and recreation, with a Seed Vault (the world’s first forestry seed permanent storage facility), a climate change indicator plant garden, an alpine plant research wing, and hills with wildflowers.

 

“Mt. Baekdu tigers are a protected species designated as Level 1 endangered wild fauna,” explained Park Jong-ho, director of the Korea Forest Service’s forest usage bureau.

 

“In addition to its significance in marking the return of Korean tigers, which are known to be endangered in the southern Korean Peninsula, their release in the tiger forest also establishes a foothold for systematic preservation of Korean tigers,” Park added.

 

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  • : Le retour du tigre en Europe: le blog d'Alain Sennepin
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