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30 mai 2016 1 30 /05 /mai /2016 07:09

Dernière actualisation: 19 Juillet 2016.

Un Océan de Bonté.

Il n'y a, au fond, qu'une seule chose qui compte : vivre. Pour voir... le grand jour se lever, et la lumière inonder le monde. Proverbe inuit.

Ceci fait suite à « Héros de la Résistance » du 9 mai 2016. Dernière actualisation : 24 juin 2016.

SUMMARY. THE INDESTRUCTIBLE POLAR STAR. STRENGTH OF GENTLENESS. Bowhead whales of Bering strait, slaughtered (with Mocha Dick as direct and probably sad spectator) by american whalers from summer 1848 and after, were not completely destroyed by them, contrarily to Steller's sea cows by russians one century sooner (as shown by Ryan Jones). Their genocide was thus more than tremendous as their murderers were deeply disappointed after their defeat against fighting cachalots (« The greatest american hero of all times. Mocha Dick : a reassessment », May 9, 2016). Indeed, it seems that these animals have an intimate strength which allow them to succeed in front of the worst situations.

Endemic of cold regions of northern hemisphere, they flourished during the last glacial period. Afterwards, contrarily to woolly mammoths and rhinoceroses, they survived by changing their sex ratio in favour of females (as shown by Andrew Foote and Kristin Kashner), despite submitting higher predational pressure from killer whales in restrained geographical areas (arctic and circumarctic zones). Human coastal populations that will constitute the North - Western Pacific civilization, hunted seals, Steller's sea cows and juvenile gray whales in the first millenias of neolithic era. But afterwards, they learned from killer whales and began to hunt bowhead whales. These two cetaceans become key references for the spiritual life of these cultures, and determining resolvers for their survival. Chukchi coastal people realized a gigantic religious sanctuary for bowhead whales : « the whale alley », that has no equivalence in the whole world. By the beginning of « little ice age » (end of XIVth century) up to XIXth century, pacific and atlantic populations were isolated from each other, and increasing differences appeared between them. During 400 years, even though their atlantic congeners were progressively destroyed by whaling industry, with dramatic impoverishment consequences (as showm by Howard Rosenbaum) bowhead whales of nothern Pacific strongly developed their biological and cultural peculiarities : very high capacities of complex communication, both at intraspecific and interspecific (primarily with belugas, and perhaps narwhals) levels, physiological power to be free of cancer, life duration up to several centuries, and potentially, some old female even heavier than biggest blue whales. American whalers could be more than surprised when discovering these unrecognizable « new fangled monsters » that they called « Russia »... Nowadays, climatic change induces future loosing of half of their present distribution superficy. and their survival in next decades and centuries (and beyond, secondary restoration of flourishing conditions similar to that of little ice age) is clearly linked to that of nivkh, aleut, itelmen and chukchi cultures (among others) on new basis, like what is done in Yakutia with rebuilding of big fauna of the deep past (Zimov 2014). And in this way, Steller's sea cows are also concerned...

RESUME. A l'automne 1848, le grand cachalot blanc « Mocha Dick » a vraisemblablement assisté directement au début du massacre des grandes baleines franches boréales du détroit de Bering (« Héros de la Résistance », 9 mai 2016). Ces reines des glaces, dont la douceur n'a d'égal que le gigantisme (dans des temps plus anciens, certaines d'entre elles ont probablement été encore plus lourdes que les plus grandes baleines bleues), ont subi un véritable génocide, à l'initiative de baleiniers américains déroutés et frustrés de la défaite qu'ils venaient de subir face aux cachalots combattants. Mais, contrairement aux grandes rhytines de Steller un siècle plus tôt, elles n'ont pas été complètement anéanties et leurs populations tendent à augmenter aujourd'hui. Certains individus, vieux de plusieurs centaines d'années, ont même traversé le maelström de la modernité et ont survécu jusqu'à nos jours. Ces animaux, strictement inféodés aux régions froides de l'hémisphère Nord, auraient pu disparaître à la fin du dernier âge glaciaire, comme les mammouths ou les rhinocéros à fourrure, si elles n'avaient pas adopté des stratégies originales de survie, dont la moindre n'est sans doute pas leur aptitude au dialogue, au sein de leur espèce et vis - à - vis des autres. Par la suite, elles sont devenues, aux côtés de leur prédateur, l'orque, un référent essentiel de la spiritualité de la civilisation du Pacifique Nord. Les tchouktches établirent même en leur hommage un sanctuaire religieux unique au monde. Progressivement isolées de leurs congénères de l'Atlantique à partir du XVème siècle, elles avaient alors pu développer, pendant 400 ans, leur culture propre. Les changements climatiques en cours lient désormais l'avenir de ces douces géantes à un renouveau des cultures nivkhes, aléoutes, itelmens, tchouktches...

La baleine franche boréale est un animal strictement inféodé aux régions polaires et circumpolaires de l'Hémisphère Nord.

PORTRAIT D'UNE DEESSE MERE. ETOILE POLAIRE, SUPERGEANTE BICOLORE.

Elle a survécu à la fin du dernier âge glaciaire, contrairement au mammouth et au rhinocéros à fourrure, mais comme le bœuf musqué, et des animaux marins qui partagent son environnement en symbiose avec elle.

La baleine blanche belouga et le narval.

http://www.earthtimes.org/nature/tropical-belugas-narwhals-evolution/1879/

Le morse.

Dyke, A.S. (1999). "The Late Wisconsinan and Holocene record of walrus (Odobenus rosmarus) from North America: A review with new data from Arctic and Atlantic Canada". Arctic 52 (2): 160–181. doi:10.14430/arctic920

Volume : Elle est le grand cétacé dont la conformation induit la masse la plus importante proportionnellement à la longueur. Mesurant entre 14 et 18m, elle pèse de 75 à 100t. Jusqu'au XIXème siècle, des individus (notamment femelles), pouvaient atteindre des longueurs plus importantes (20m, 21m, et même 24, 50m pour un animal capturé par un baleinier américain en mer de Bering en 1850). Dans le dernier cas, si les mensurations sont exactes, sa masse était supérieure à 200t. Une baleine franche boréale de la taille d'une grande baleine bleue pèserait entre 400 et 500t. La population du Pacifique du Nord - Ouest compta peut - être dans ses rangs les animaux les plus lourds que la planète Terre aient jamais hébergés (Actualisation au 24 juin 2016. Craig George, qui a publié, il y a deux jours, une étude sur les choix physiologiques des baleines boréales dans leur développement post embryonnaire, me confirme ce jour (communication personnelle, 12h10), que "Yes there are some good records of bowheads with a mass similar to blue whales from the 1800s").

Couleurs : Un animal noir et blanc, dont le menton blanc est ponctué de noir...

Des variations allant du gris noir et du bleu profond, à l'argenté (lors des migrations effectuées avec les baleines blanches belougas, des jeunes de couleur bleu marine, des deux espèces, peuvent voyager côte à côte). Seven shade of grey

https://arcticcurrents.wordpress.com/2013/07/13/seven-shades-of-grey/

Sans doute existe t-il des cas d'albinisme , non répertoriés à ce jour (ils ne le furent pas plus chez les mammouths et les rhinocéros à fourrure...).

La baleine brise – glace : son front, arrondi en arc, lui permet de se frayer un chemin dans les étendues glacées. Elle peut ainsi disloquer une couche de glace épaisse de près de 60cm.

Consommatrice filtreuse de plus de 60 espèces de crustacés, elle possède la plus grande bouche et les plus grands fanons du monde animal.

C'est l'un des rares animaux à être structurellement indemne de cancer.

316424http://www.medicaldaily.com/can-marine-biology-help-us-live-forever-bowhead-whale-can-live-200-years-cancer-

Elle peut vivre plusieurs centaines d'années (Schmedes 2013, Melville II, 150 – 151).

Baleine franche boréale et bélougas.

Très communicative avec d'autres espèces, elle est à la fois polyglotte et imitatrice (Schmedes 2013).

http://cetus.ucsd.edu/voicesinthesea_org/species/baleenWhales/bowhead.html

Relations interspécifiques (Schmedes 2013, Le cœur a ses raisons 9 septembre 2015, Kamtchatka en toute logique 30 septembre 2015 )

La baleine franche entretient des relations particulièrement privilégiées avec la baleine blanche belouga.

« When the bowhead whales migrate, they are often seen migrating with the beluga whales. Beluga and bowhead whales tend to travel in the same direction during migration.

This relationship between the beluga and the bowhead shows a similar pattern between the two different whales. Travelling in these large groups, they have a symbiotic relationship where each of the whales benefit »(NOAA Fisheries 2012).

Ceci n'a rien d'étonnant dans la mesure ou le belouga, lui aussi, est particulièrement communicatif, avec baleines, phoques, humains... http://www.smithsonianmag.com/science-nature/story-one-whale-who-tried-bridge-linguistic-divide-between-animals-humans-180951437/?no-ist

Viktor Andrianov (23 mars 2016) a montré à quel point la socialité, l'intelligence et la sensibilité de ces animaux est développée.

http://programmes.putin.kremlin.ru/en/beluha/news/25276

L'environnement social des grandes baleines boréales s'étend probablement aux narvals. Les bélougas entretiennent des relations proches avec ceux - ci, les deux espèces pouvant occasionnellement s' hybrider.

Et à Béring, la migration polyspécifique des cétacés coïncide avec celle de centaines de milliers de morses...

Une histoire à couper le souffle.

ÂGE GLACIAIRE, ÂGE D'OR. Lors de cet épisode, les géantes occupent l'ensemble de la couronne d'eau libre océanique au cœur de laquelle s'inscrit l'immense inlandsis qui chapeaute l'Hémisphère Nord. Elles acquièrent rapidement une taille gigantesque sans précédent historique (voir "Froid, Vigueur", mis en ligne le 19 juillet 2016).

Leur unique prédateur est l'orque. Dans le même temps (il y a 45 000 ans), des communautés humaines chassent le mammouth à la lance sur la rive orientale du Ienisseï, à 2000km au Sud du Pôle. Elles colonisent le détroit de Béring il y a 18 500 ans au moins.

http://www.ancient-origins.net/news-history-archaeology/mammoth-sized-find-humans-living-arctic-10000-years-earlier-may-push-back-020702

LA VICTOIRE DANS LA DEBACLE. La fin de l'âge glaciaire aurait pu être fatale aux douces géantes. Tout au contraire, elles ont réagi en remontant vers le Nord, et surtout en modifiant leur sex – ratio en faveur des femelles, ce qui a entraîné une augmentation des effectifs, sur un espace désormais beaucoup plus restreint , comme l'ont montré Andrew Foote et Kristin Kashner.

http://www.nature.com/ncomms/journal/v4/n4/full/ncomms2714.html

UNE ORQUE ?

LES ORQUES. La pression prédatrice de ces animaux augmente à partir du passage à l'Holocène, du fait de la plus forte densité de baleines boréales en zone arctique et péri - arctique.

Les communautés humaines du Nord - Ouest du Pacifique s'en tiennent, à cette époque, aux rhytines et aux baleines grises juvéniles (Domning 1972). Les zones circumpolaires ne sont d'ailleurs pas les seules concernées. A la même époque, la baleine est chassée sur les côtes sud – est de la péninsule coréenne (Sangmog Lee 2011). Les orques détachent des morceaux de 10 à 20 kg de viande des baleines qu'ils agressent, dont certains ne sont pas consommés, sont entraînés par le courant et peuvent être récupérés par ces communautés. Pour celles – ci, les orques sont donc des pourvoyeurs de manne. Elles deviennent ainsi les Divinités Protectrices de la civilisation du Pacifique Nord (Malaurie 2003).

L'HOMME DEVIENT ORQUE. Les chasseurs Inuits et Tchouktches s'inspirant alors des techniques de chasse des orques se lancent à leur tour dans la chasse aux géantes (Malaurie 2003). Zimov (15 octobre 2014) avait déjà montré cette « prise de pouvoir » de communautés humaines jusqu'alors simples parasites des grands prédateurs.

Avec recul et humour sur leurs pratiques souvent plus qu'approximatives et aux résultats équivoques, ces chasseurs se moquent volontiers d'eux - mêmes, de leur incompétence et de leur intempérance, de leur barbarie et de leur bêtise grand guignolesque, à travers la figure du chasseur géant de baleines boréales, expression du masculin sous sa forme la plus caricaturale (Saladin d'Anglure 2006, page 92).

De fait, cette chasse est religieuse avant d'être économique. Elle est absolument vitale sur le plan spirituel, c'est une nécessité existentielle, selon Malaurie (page 36). Le sacré a toujours à voir avec la mort, et le sang appelle le sang (voir plus bas « LE MARTYR DE LA RUSSIE »). Tuer le grand animal est une forme « d'insémination traumatique » (viol aux conséquences fatales), et sa consommation est à la fois une théophagie (« ceci est mon corps ») et un cannibalisme incestueux (dévoration rituel d'un parent).

L'impact de cette chasse cérémonielle peu fréquente (la mer est riche en phoques et en morses) sur les populations de baleines boréales est très faible (bien moindre que celle des orques).

MITG : l'orchestrateur. La mythologie des peuples arctiques tend alors à se réorganiser. Pour les Tchouktches maritimes, la divinité principale est océanique, et répartit les « territoires » céleste, terrestre, souterrain pour les autres divinités. C'est Mitg, un grand « poisson » similaire à celui de la mythologie Yakoute. Il pourvoit aussi les rivières en poissons d'eau douce (Stepan P. Krasheninnikov, Explorations of Kamchatka 1735-1741, translated from the Russian, Oregon Historical society, Portland, 1972. pp. 238-243).

L'ALLEE DES BALEINES . Constituée officiellement au XIVème siècle, mais peut être très nettement antérieur à cette date, il s'agit d'un temple gigantesque unique dédié aux grandes baleines boréales (Nord Est d'Yttigran + Sud - Ouest d'Arakamchechen, ensemble situé au sud – est de la Tchoukotka, au Nord de la mer de Béring) , en un lieu stratégique de l'Histoire de l'Humanité depuis 40 000 ans (Malaurie 2003). Voir aussi : Siberian Times du 29 / 11 / 2014.

http://siberiantimes.com/other/others/features/f0016-welcome-to-siberias-answer-to-stonehenge-or-the-pyramids/

Ainsi que : « Les gens heureux n'ont pas d'Histoire », 16 septembre 2015.

De façon très illustrative des ravages de la pensée moderne sur les esprits, ce monument unique et titanesque est resté INVISIBLE MENTALEMENT aux yeux des explorateurs de culture européenne jusqu'en 1976 (Malaurie 2003).

Il a été érigé par des générations de tchouktches chasseurs de baleines et de morses.

«... en plissant les yeux et en tournant la tête à l'envers, Arakamchechen et surtout Yttigran paraissent, dans leur profil, des baleines en demi - plongée ; l'énorme tête de baleine, tournée vers l'ouest en en début de plongée (Arakamchechen), vers l'est (Yttigran). La baleine au dos puissant, émergé, semble (Arakamchechen) s'engager paisiblement vers le fond du détroit de Séniavine. En plongeant la tête, elle commence à tourner vers la haute mer. Elle a visité les hommes, ses cousins. Avec Yttigran, elle regagne la haute mer. » (Malaurie 63 – 64). Et on pourrait tout aussi bien évoquer une mère (la grande île Arakamchechen) veillant sur son baleineau (la petiteYttigran). Arakamchechen peut, tout aussi aisément, évoquer une rhytine de Steller.

AU SUD : LES NIVKHES. Ils sont comme des « Yakoutes du Sud », partis comme ceux - ci de leur berceau transbaïkalien vers l'Est, où ils ont investi des espaces plus méridionaux. Dans une région qui correspond au cours inférieur de l'Amour et à Sakhaline, les Nivkhes considèrent la mer d'Okhotsk comme une steppe marine, dont ils sont les pasteurs nomades. Jusqu'au milieu du XVIIème siècle, celle – ci regorge de poissons, de phoques, de baleines boréales et de bélougas, de baleines grises et vraisemblablement de grandes rhytines. Quand le Tol – yz, esprit d'une orque titanesque maître de la mer, leur offre une baleine échouée, ils organisent une cérémonie de remerciement à l'animal mort, qui dure plusieurs jours. Les Nivkhes sont les ancêtres de la civilisation du Nord - Ouest américain.

http://ria.ru/earth/20140219/995484804.html

Второе рождение гренландского кита

Les Aïnous agissent de même dans le sud de Sakhaline et à Hokkaïdo (Testart 1982).

LA CESURE (1500 – 1848).

L'avènement du Petit Âge Glaciaire, à partir de la deuxième moitié du XIVème siècle, tend à isoler les baleines franches boréales de l'Atlantique Nord de celles du Pacifique.

Pour les premières : cette période coïncide avec l'incommensurable agression que constitue la chasse baleinière européenne. Ces populations s'appauvrissent considérablement sur le plan génétique du XVIème au XIXème siècle, comme l'a mis en évidence Howard Rosenbaum.

Heavy commercial hunting, beginning in the 1500s, depleted all populations of bowheads

Arctic bowhead whales have lost a significant portion of their genetic diversity in the past 500 years. Whaling and climatic cooling during the Little Ice Age, from the 16th century to the 19th, is supposed to have reduced the whales’ summer habitats, which explains the loss of genetic diversity (Eilperin, Juliet (18 October 2012). "Bowhead whales lost genetic diversity, study shows". The Washington Post. )The researchers found that the "http://www.washingtonpost.com/wp-dyn/content/article/2010/03/28/AR2010032802679.html?sid=ST2010032802698">whales were not deterred by ice-covered inlets and straits separating the Atlantic and Pacific populations, and exchanged genes. Howard Rosenbaum, a co-author and director of the Wildlife Conservation Society’s Ocean Giants Program, said in an interview that the loss of the female lines was important because “the cultural knowledge associated with maternal lineages” guides whales in their migrations to certain areas.

https://www.sciencedaily.com/releases/2012/10/121019130502.htm

Dès le XVIème siècles, les Basques, sur les côtes canadiennes,  ( détroit de Belle-Isle),  chassaient aussi bien la baleine noire de l’Atlantique Nord (Eubalaena glacialis) que sa proche parente, la baleine boréale (Balaena mysticetus). Ils appelaient cette dernière barba, ou « la barbue », parce qu’elle avait davantage de fanons que la baleine noire. Elle était également plus grosse. Les restes zooarchéologiques exhumés dans la principale station baleinière de Red Bay révèlent que les Basques capturèrent autant de baleines boréales que de baleines noires.

Au Spitzberg (Arctique norvégien) au XVIIe siècle, c’est la baleine boréale qui est la principale espèce exploitée par les Basques et les Hollandais. En 1622, quand Thomas Edge décrivit les baleines nordiques fréquentant les eaux de Spitzberg, il désigna la baleine boréale du nom de « baleine de Grand Bay », une appellation également utilisée par les Basques : granbaiako balea. 

Certains calculs établis par des zooarchéologues, arrivent à une estimation d' environ 11 000 pour la population de baleines boréales présentes à l’ouest de l’Atlantique Nord avant l’arrivée des Européens et à environ 12 000 à 15 000 celle des baleines noires. Entre 1530 et 1610, on évalue la prise totale entre 25 000 à 40 000, un portrait considérablement plus sombre. Il existe même des preuves que le déclin avait déjà commencé dans les années 1570.

Pour les secondes : la même période correspond à une phase d'adaptation à l'isolement, peut - être analogue à celle intervenue lors de la fin de l'âge glaciaire, impliquant un renforcement de leur spécificité biologique ( « dérive du gigantisme » chez des femelles déjà surdimensionnées et démographiquement dominantes) et culturelle (densité relationnelle renforcée avec les belougas et narvals, voire les morses). A la fin de la première moitié du XIXème siècle, les populations relictuelles de l'Atlantique Nord, et celles, prospères, du Pacifique Nord, étaient peut - être aussi dissemblables qu' un tigre du Bengale et un tigre de Sibérie, ou un cachalot de l'Atlantique et son congénère du Pacifique (« Heros de la Résistance » 9 mai 2016).

Au XVIIIème siècle, si ces animaux gigantesques restent à l'abri des européens, ce n'est pas le cas des grandes rhytines de Steller qui sont, à partir de 1742, anéanties en quelques décennies (Domning 1972, Genevois 2012, Ryan Tucker Jones. 2014. Empire of extinction. Russians and the strange beasts of the sea in the north Pacific, 1709 – 1867. Oxford University Press, « La condition humaine »,13 avril 2015, « Kamtchatka, en toute logique », 30 septembre 2015). Leurs populations avaient été préalablement fragilisées par la surexploitation des loutres de mer pour leur fourrure, une dizaine d'années auparavant. L'effondrement des populations de ce prédateur efficace avait induit une explosion des effectifs de leurs proies, les oursins, qui avaient causé des dommages considérables dans les forêts de kelp (algues laminaires brunes géantes) base de la nourriture des rhytines, poussant celles - ci à la famine (Estes J.A., Burdin A., Doak D.F. 2016 - 26 janvier -. Sea otters, kelp forests, and the extinction of Steller's sea cow. Proc. Nat. Acad. Sci. USA, 113 (4), 880 - 885).

LE MARTYR DE « LA RUSSIE », L'IMPUISSANCE DE « MOCHA DICK » : été 1848

La guerre du Pacifique entre les baleiniers anglo - américains et les cachalots combattants (« Héros de la résistance », 9 mai 2016) se conclut par le génocide de ces baleines géantes. Celui – ci est engagé à partir du 23 juillet 1848 par le capitaine Thomas Welcome Roys, à bord du navire « Superior », stupéfait de sa rencontre inopinée avec « de nouveaux monstres édentés », formule qui montre suffisamment la différence spectaculaire avec les baleines boréales de l'Atlantique Nord... Les baleiniers américains nomment l'animal « la baleine russe », et même « la Russie »... Ceci constitue pour eux une divine surprise, qui sauve provisoirement l'industrie baleinière américaine du désastre subi lors du conflit contre les cachalots géants, et amoindrit, dans un premier temps, l'effet bouleversant du roman « Moby Dick ». CAR IL FAUT QUE LES MASSACREURS PUISSENT MASSACRER, SANS QUOI ILS SONT PERDUS à JAMAIS. Il s'agit d'une phase régressive vers l'enfance de la civilisation industrielle (« Héros de la Résistance », 9 mai 2016), qui est sans doute aussi une conséquence des difficultés rencontrées face aux cachalots. Elle a un côté « Achab au Pays des Merveilles », avec l'extermination de supergéantes douces et innocentes (et dont la dimension sacrée est reconnue dans leur dénomination : « Mysticetus »). Même « nécessité existentielle » que celle du pervers narcissique qui violente sa (ses) compagne(s) à mort ? Théotomie génocidaire? En tout cas, une religion malade, dont les rites mutent, comme des cellules cancéreuses de l'organisme social, en sacrilèges systématiques au dépens de la figure la plus emblématique de la déesse - mère enveloppante et englobante, qu'on la nomme Isis, Moby Mary, ou Priroda...

Les reines des glaces connaissent alors un sort comparable à celui des grandes rhytines un siècle plus tôt dans la même région. Dès 1849, 50 navires chassent ces animaux (dont 46 américains). Le « Superior » rentre à Honolulu avec 4500 barils d'huile à son bord. En 1850, un baleinier américain affirme avoir capturé un animal de 24, 50m, ce qui correspond à une masse de plus de 200t (estimation basse).

Bockstoce, J. R., and J. J. Burns (1993). "Commercial Whaling in the North Pacific Sector". In Burns, J. J.; Montague, J. J.; and Cowles, C. J. The Bowhead Whale. Special Publication No. 2: The Society for Marine Mammalogy.)

En 1852, le massacre s'étend à plus de 2700 d'entre elles, réalisé par 220 navires, et débouche sur le forçage des ports japonais à des fins logistiques l'année suivante , dont l'effet boomerang sera plus tard Pearl Harbor et la deuxième Guerre du Pacifique (Guerre et Paix, 26 juillet 2015). En mer d'Okhotsk, dans le seul archipel des Shantar, 60 navires sont présents pour tuer 50 baleines par jour. Inutile de préciser que les orques, les baleines grises, les bélougas et les phoques subissent peu ou prou le même sort, de même que, sur les îles elles mêmes, le kétoupa de Blakiston (plus grand hibou du monde et prédateur de saumons) et l'ours du Kamtchatka (ancêtre du grizzly américain) présent sur la petite île Medvedzy, et que les Nivkhes identifient à l'esprit de la montagne : Pal – yz. Dans les rivières, la victime principale est une truite « cutthroat », ancêtre de ses congénères américaines : elle s'était rendue en Amérique du Nord pendant la dernière période glaciaire, en sautant comme une grenouille, d'une rivière à une autre, comme le fit aussi la truite arc - en - ciel (Prosek 2003).

Selon le célèbre baleinier Otto W. Lindholm (Finlandais qui travaillait pour les russes, et qui a donné son nom à un détroit au sein de l'archipel des Shantar), dans les années 1855-1857, 438 navires dans la mer d'Okhotsk ontem> tué au moins 6654 baleines. En 1863, lors d'une campagne baleinière au sud des Shantar, il se fit installer une yourte « à la mode yakoute », avec le sol et les murs recouverts de peaux d'ours, les portes calfeutrées par de la peau de renne, et des vertèbres de baleine boréale en guise de chaises...

Bockstoce, John (1986). Whales, Ice, & Men: The History of Whaling in the Western Arctic. University of Washington Press.

Ryan Tucker Jones.Running to the Whales.Running to the Pacific from below the waves. 2013. The American historical review, 349 – 377.

http://ria.ru/earth/20140219/995484804.html

Второе рождение гренландского кита

Mocha Dick est présent sur les lieux, vraisemblablement à la fin de l'été ou au début de l'automne 1848 (« Héros de la résistance », 9 mai 2016). C'est Thomas Welcome Roys* lui - même qui en témoigne. Evitant une confrontation dont il sait l'issue incertaine, il laisse passer le grand cachalot blanc (Knickerbocker 33, mars 1849, 267 – 268).

Mais celui - ci n'a pas pu sauver « la Russie ». Cela aurait peut - être été possible si, découvertes dans leur refuge béringien 10 ans auparavant par les massacreurs américains, alors que l'armée des cachalots samouraïs était encore solidement charpentée, celles qui parlent au Monde avaient appelé au secours...

En tant que grand mâle, Mocha Dick séjournait saisonnièrement, chaque année, en zone polaire.Il connaissait les supergéantes, et peut – être les comprenait- il...

Etait - il perçu par celles - ci, avec sa voix et sa physionomie si singulières, comme un géant « surcétacéen », à la fois cachalot et belouga ? A t-il éprouvé une forme de rage impuissante, peut être aggravée par le ressenti vibratoire inconscient du massacre des rhytines 100 ans auparavant ?

Est - il allé mourir en mer des Tchouktches, entre « la queue d'Yttigran et le museau d'Arrakamchechen »?

*Plus que précautionneux face à Mocha Dick, Roys était pourtant réputé pour son audace... Il fut un pionnier de l'industrie baleinière moderne, inventant plusieurs dispositifs techniques décisifs dans la relance de cette activité, en lien notamment avec le gigantisme des grandes baleines boréales et l'optimisation de leur capture ainsi que la récupération effective des corps... Ignoré par les historiens américains spécialistes des affaires maritimes, il est par contre bien connu en Norvège, pays qui a, historiquement, bénéficié le plus largement de ses inventions. A cet égard, T.W.Roys peut être considéré comme le Svend Foyn américain (ce norvégien inventera le canon lance - harpon en 1868). Son génie technique a peut être été sollicité, non seulement par l'opportunité que représentaient les supergéantes de Béring, mais aussi le risque que constituaient les cachalots géants...

Thomas Welcome Roys, America's pioneer of modern whaling (mariners' museum publication). Frederick P. Schmitt, Cornelis de Jong, Frank H. Winter. June (Juin) 1980. Newport News, University Press of Virginia, Charlottesville.

L'INDESTRUCTIBLE ETOILE

« Le harpon qui la tuera n'a pas encore été forgé ». Herman Melville, « Moby Dick ».

La Reine des Glaces fut ravagée mais non anéantie. Elle bénéficia d'une protection mondiale en 1935, attribuée pour la première fois à un animal à cette échelle. Certains individus, nés bien avant 1848, ont survécu à « la vallée des larmes de la mort » et ont vécu jusqu'au XXIème siècle (Schmedes 2013). Il est possible que des vétéran(e)s soit encore en vie aujourd'hui.

Qui plus est, l'espèce se reconstitue peu à peu :

« The Bering-Chukchi-Beaufort Seas stock has recovered substantially since the end of commercial whaling in the early 20th century, while recent provisional estimates of the Hudson Bay-Foxe Basin and Baffin Bay-Davis Strait stocks also suggest significant recovery. There is no reliable evidence of recovery of the Svalbard-Barents Sea (Spitsbergen) and Okhotsk Sea stocks ». - See more at: http://theterramarproject.org/species/78/Bowhead+Whale#sthash.ezAlfg0F.dpuf

Olga Shpak a pris des clichés spectaculaires à Okhotsk, lors de la journée mondiale de la baleine, le 19 février 2014.

Et la procession des indestructibles « monstres édentés » dans le détroit de Landholm (!) - archipel des Shantar - est une forme de marche triomphale comparable à celle de Mocha Dick dans le détroit de Béring à l'automne 1848.

DES ABYSSES AU FIRMAMENT. Il s'agit désormais d'offrir les conditions d'un renouveau culturel pour les Nivkhes à travers le réenrichissement profusionnel d'Okhotsk . Et de ce point de vue, certains lieux de convergence des grands animaux marins, aquatiques, terrestres et aériens de l'archipel des Shantar (comme la baie Ongachan) peuvent constituer de puissants noyaux matriciels.

C'est ce que font d'ores et déjà, en rapport avec leur environnement propre, les Nenets et les Udeghes plus au Sud, dans la vallée de la rivière Bikin (« L'Amour est éternel », 17 février 2015, « Invictus », 17 février 2016), et les Yakoutes plus au nord (« Un rocher sur la lande », 27 février 2016).

Le même processus est à engager pour les Tchouktches , les Koryaks /Itelmen du Kamtchatka , les Aléoutes. Ceci implique :

- la réémergence de matriarches supergéantes, dont le volume et la durée de vie induisent une perception de l'environnement unique dans le règne animal (« Penser comme une montagne », Leopold 1949).

- la restauration de Balaena mysticetus jusqu'au Svalbaard norvégien (inductrice de celle des cultures samies)

- la reconstruction de la Rhytine de Steller Hydrodamalis gigas (voir leur possible lien social avec la baleine boréale dans « Kamtchatka, en toute logique », 30 septembre 2015, paragraphe « Question ouverte : solidarité, protection »).

Pour sortir du tunnel, enfin... (Kipling 1893, évoque le tunnel des vaches de mer, où ces animaux se seraient abrités après leur extinction officielle).

Chapeau de bois rituel aléoute.

BIBLIOGRAPHIE

Les références indiquant une date au jour près indiquent des textes mis en ligne sur le présent blog. Pour s'y référer, taper l'intitulé, sui vi de « retour du tigre en europe ». Par exemple, pour « « Héros de la Résistance », 9 mai 2016 », taper en mots - clés : héros de la résistance retour du tigre en europe

Blond (G). 1953. La grande aventure des baleines. Bibliothèque de la mer. Eds. Amiot Dumont.

Burdin (A), Potgieter (B)trong>, O' Corry - Crowe (G). 2012. Climate change : a view through the prism of Steller's sea cow extinction. Brief overview of 2011 field work. 12 pages. Cazeils (N). 2000. Dix siècles de pêche à la baleine. Editions Ouest - France. Calambokidis (J), Steiger (G). 1997. Blue whales. WorldLife Library. Colin Baxter Photography Ltd. Diolé (Ph), Cousteau (J.Y).1973. Nos amies les baletrong>ines. Eds. Flammarion. Domning (D.P). 1972. Steller's sea cow and the origin of North Pacific aboriginal whaling. Syesis, 5, 187 – 189. Essemlali (L). 2012. Capitaine Paul Watson. Entretien avec un pirate. Editions Glénat. Genevois (F). 2012. Le crépuscule des vaches de mer. Eds. Le Guetteur. Hadot (P). 2004. Le voile d'Isis. Essai sur l'Histoire de l'idée de Naturetrong>. Editions Gallimard. Kipling (R). 1893. THe white seal. National Review. Included in "Jungle Book", chapter 4, in 1894. Version française (Le phoque blanc), eds. Poche, 2008. Lauhakangas (R). 1996. Do Norwegians hate whales ? 16 octobre 1996. http://www.helsinki.fi/~lauhakan/whale="http://www.helsinki.fi/~lauhakan/whale/europe/norway/mehamn.html">/europe/norway/mehamn.html Leopold (A). 1949. A sand county almanach.Oxford University Press, London . Malaurie (J). 2003. L'All>ée des baleines. Editions Mille et une nuits. Melville (H). 1851. The Whale. London, R. Bentley, 18 October, 3 vol. 927 pages. Moby Dick. New York, Harper & Brothers Publishers., 14 November, 1 vol., 635 pages. Edition française 1967. Deux Tomes. Tome I : 363 pages. Tome II : 442 pages. Collection du XXème siècle. Editions Walter Beckers. Kapellen - Anvers. Traduction par Georges Saint - Marnier. Prosek (J). 2003. Le bel inventaire des truites. Editions Aubanel. Saladin d'Anglure (B). 2006. Être et renaïtre Inuit. Homme, femme ou chamane. Collection « Le langage des contes », éditions Gallimard. Sangmog Lee. 2011. Chasseurs de baleines. La frise de Bangudae. Corée du Sud. Editions Errance. Testart (A). Les chasseurs – cueilleurs, ou L'origine des inégalités. Mémoires de la Société d'ethnographie, XXVI. Zimov (S). 2014. Wild Field Manifesto. 15 octobre 2014. Accessible sur le site « Pleistocene Park », section « News ».

FILMOGRAPHIE.

Schmedes (A). 2013. La baleine boréale, doyenne de l'arctique.

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