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18 mars 2018 7 18 /03 /mars /2018 07:24

Ceci fait suite à "Une massue archangélique" mis en ligne le 30 septembre 2017.

MAGNITUDE (ou "Comment la Russie est l'Avenir de l'Amérique"). Hier, dans la salle bleue du Museum du San Francisco Maritime National Historical Park, Amy Parson a donné une conférence d'1h30 sur les représentations du monde des cétacés au XIXème siècle. Elle a illustré son exposé à partir du chapitre 105 de "Moby-Dick" : "La taille des baleines diminue t-elle? Leur espèce est - elle en danger d'extinction?" En 2012, Parson avait opposé les vues de Melville et de Starbuck (auteur d'une somme historique (1878) sur la baleinerie américaine), soulignant la clairvoyance du premier par rapport au second (ESQ. A journal of the american renaissance. 2012, 58 (1), 71 – 101. Amy Parson. A careful disorderliness. Transnational labors in Melville's Moby-Dick.). Ceci étant, ni l'un ni l'autre ne pouvait imaginer, à l'époque, un phénomène comme le développement de l'industrie plastique et ses conséquences actuelles et futures sur le monde marin. En tout état de cause, Melville concluait son chapitre sous forme de réponse : «Pour toutes ces raisons, nous estimons l'espèce baleinière immortelle... Et si le Monde doit encore être submergé, la baleine éternelle survivra, et s'élevant sur la crête la plus haute de l'inondation équatoriale, elle crachera à la face du ciel son défi écumeux. »

La "question" n'en est d'ailleurs peut être pas une, pas plus que celle du Temps, de l'Avant et de l'Après. Dans toute représentation accordant la priorité à la Transcendance, la "Première des oeuvres de Dieu" est toujours destinée à réapparaître "à la fin des Temps". C'est pourquoi nous choisirons plus volontiers l'Immanence que la Transcendance.

http://pocombelles.over-blog.com/2018/03/l-essence-du-paganisme.html

Pour l'Ancien Testament, la "Première des Oeuvres de Dieu" est BEHEMOTH, la "Bête des Bêtes", qui résume toute la Puissance de la Nature indomptable. Les interprétations contradictoires n'ont pas manqué le concernant : à la fois hippopotame, cachalot et félin géant, état totalitaire et Paradis Terrestre, protecteur et guide initiatique. En Russie du Nord - Ouest (région de Novgorod), son équivalent terrestre est EDINOR, le rhinocéros velu à la corne immense (1, 2).  Il diffère de Léviathan par sa dimension "mammalienne", le second étant plus "reptilien", et, par delà, serpentiforme. En Russie du Sud - Ouest (mer d'Azov), l'équivalent de ce binome est l'esturgeon Kara et le brochet aux ailes d'or. Le premier n'est un "poisson" qu'en apparence : comme l'embryon humain "repasse par les différents stades de l"évolution" lors de sa construction, celui de l'esturgeon opère en sens inverse! (3). L'esturgeon est un Behemoth , le brochet un Léviathan.

JMW Turner. Lever de Soleil avec monstres marins. 1845.

   

Le Béhémoth du Livre de Job est initiatique dans le sens le plus traditionnel du terme. YHWH met Job au défi de l'abattre, sachant qu'il est indestructible. Il évoluera considérablement par la suite,  devenant le Golem de Dieu, sous la forme "d'un grand poisson", dans le Livre de Jonas - qui sera l'axe conceptuel du "Moby-Dick" de Melville -, puis la Pan- Thera (équivalent sémiotique de Behemoth, l'un englobant, l'autre résumant par la déclinaison plurielle) chrétienne, à la fragrance délicieuse, aux couleurs d'arc en ciel chatoyantes, qui résume "L'Eglise Universelle", accueillante et maternelle. En effet, le Livre de job est manifestement un emprunt à la culture pharaonique. Behemoth y figure clairement un hippopotame, et Léviathan un crocodile. Le premier est considéré comme un rival de Pharaon (qu'il met d'ailleurs parfois à mal), le second étant beaucoup plus apprécié. Les russes appellent l'Hippopotame "Behemoth" (бегемот)

AVATARS POLITIQUES ET  GEOPOLITIQUES. La figure politique de Behemoth émerge à l'Ere moderne. Elle n'est qu'un avatar de l'idéologie pharaonique, qui perçoit l'hippopotame comme un double dangereux, qui doit être combattu et détruit autant que possible. Le pharaon Ménès/Min, dont l'animal emblême était le crocodile, fut tué par un gros mammifère nilotique (16). A la suite de cet évènement, les figurations d'un hippopotame tenant un crocodile dans sa gueule se multiplièrent, et l'image de l'animal se péjora d'autant plus. Le Livre de Job, strict héritier de la culture pharaonique, décrit l'hippopotame à travers Behemoth et le crocodile à travers Léviathan. 

De véritables "rituels d'éxècration" sont célébrés, et une guerre d'extermination est promue pour purifier et guérir le Nil (rituel "apotropaïque) de la présence des monstres démoniaques, évolution secondaire d'un mythe originel évoquant un conflit entre deux mâles de cette espèces (l'oncle contre le neveu, Seth contre Horus) (17). On retrouve cette même logique chez les quakers à l'endroit des cachalots.  

Toutefois, il existe une opposition entre la dangerosité du mâle rouge (albinos, et sécrétant une substance orangée de protection de la peau pendant le stress du combat) (18) et la dimension protectrice de la femelle blanche (19). Ceci est probablement dû à un syncrétisme culturel entre "la vallée du Nil" (l'Etat massacreur de Haute - Egypte) et "le delta" (une approche beaucoup plus symbiotique de l'animal de la Basse - Egypte) après l'union des deux couronnes (16). Le mâle "rouge" est aussi le miroir subaquatique du soleil couchant (voir aussi l'identification de l'animal au Nil, les femelles blanche et dorée, dans 20). 

Les Sorkos du Niger (21) sont peut être des héritiers lointains des "hippopotamiers" de Basse - Egypte, prédateurs sans haine. Jean Rouch, qui a vécu à leurs côtés, a évoqué, dans un film de 1950, "La chasse à l'hippopotame" le cas d'un "Moby-Dick des rapides de Labbezenga" qui avait mis à mal la plus grande pirogue de ses assaillants et mis à mal leur campagne qu'eux - mêmes qualifiaient de guerrière. A sa mort, un de ses amis lui rendit hommage en l'appelant "l'hippopotame blanc"... Les Aquinnahs de Cape Cod, Martha's Vineyard et Nantucket, dans leur rapport au cachalot, sont les homologues des sorkos dans leur rapport à l'hippopotame.

Melville fait volontiers référence à l'Egypte antique (momies d'hippopotames dans les pyramides ch.1, cachalot à la bosse pyramidale ch.40, cachalot comparé à une pyramide ch. 68,  cachalot mourant se tournant vers le soleil ch. 116...

Exactement sur les mêmes bases que celle des pharaons originels, Hobbes revendique l'impérieuse nécessité du pouvoir de Léviathan (1651), Etat impitoyable mais fonctionnellement régulateur, qui ouvre la possibilité d'un "progrès humain" à venir, s'opposant à celui de Béhémoth, qui est une dérive du premier dans l'Hubris illimité, ce qui ouvre la voie à la guerre civile "le plus horrible état de guerre de tous contre tous" (1681). En 1942, Franz Leopold Neumann présente le système National Socialiste comme étant un "Béhémoth", ses adversaires étant du même coup "du côté du Léviathan".

Parallèlement, la géopolitique évoquera Béhémoth pour des puissances "continentales" (Sparte, Rome, la France la Russie...) et Léviathan pour des puissances "maritimes (Athènes, Carthage, l'Angleterre, les Etats - Unis...). 

AVATAR CULTUREL. "Moby-Dick" d'Herman Melville (1851) retourne la logique politique d'Hobbes, et, par anticipation, de Neumann. Béhémoth l'emporte sur Léviathan (illustration de la "Première Guerre du Pacifique" ou l'armée des cachalots du Pacifique triomphe de la flotte baleinière américaine (4)). Melville axe sa réflexion sur Le Livre de Jonas. En 1839, son associé au New Yorker, Cornelius Mathew, publie "Behemoth". La même année, paraît le "Mocha Dick, ou la baleine blanche du Pacifique" de Jeremiah Reynolds. Le 27 décembre 1840, dans la Seamen's Bethel de New Bedford, Melville assiste au sermon d'Enoch Mudge sur la parabole de Jonas. Quelques jours plus tard, il prend la mer à bord du baleinier Acushnet, premier d'une série de voyages initiatiques qui l'auront totalement transformé en mars 1843... Le roman intègre des dialogues récurrents avec des "êtres de la nuit des temps" (des "êtres du Rêve" diraient les aborigènes australiens totémistes) : des cachalots, montagnes et pyramides interchangeables, et donc tous "première oeuvre de Dieu" dans la conception transcendante ...

 

FIGURATIONS : Hippopotame, cachalot, tigre. L'une de ces figures est un vieux mâle, manchot et aveugle - ses yeux ont purement et simplement disparu et ses globes oculaires se sont refermés et ont changé de conformation - qui subit une véritable "Passion" (dans le sens christique du terme) au chapitre 81 du roman (5). Celui - ci meurt et revit à travers une légende de la deuxième moitié du XIXème siècle, puis la littérature du XXème siècle. Mort dans le roman en 1842 dans le Pacifique, son premier avatar subit le même sort en 1859 dans l'Atlantique sous les coups d'un baleinier suédois (cette légende baleinière le figure alors en cachalot cacochyme aussi grand qu'une baleine bleue), puis en 1920 dans l'Antarctique (Francisco Coloane "Le sillage de la baleine") : il est alors une baleine bleue mâle de 35m de long, et enfin le 7 octobre 1943 en Méditerranée, où il est démembré, tel une figure osirienne ou dionysienne (Stefano d'Arrigo, "Horcynus Orca", l'auteur lui même précisant qu'il s'agit là de la quatrième remontée de la Bête des zones de subduction océanique...) toujours porteur de la plaie hideuse et nauséabonde dont il était affublé depuis de nombreux siècles (comme l'indique Melville)... Mais Dionysos meurt et renaît. Mocha Dick, immortel et indestructible, rejaillit du trou noir en Nouvelle - Zélande en 1985 (voir plus bas)...  En 2006 puis 2015, un cachalot blanc est observé un peu plus au Nord, entre la Sardaigne orientale et les bouches de Bonifacio...

Un hippopotame dans la bosse. Dans "Moby-Dick", Ishmaël évoque les momies d'hippopotames dans les pyramides, puis associent celles - ci à certains cachalots. La "bosse pyramidale" de Moby Dick est donc aussi le protecteur secret du Béhémoth ancestral. Chez le cachalot, celle - ci abrite le noyau neural le plus important en volume comme en fonctionnalité, après le cerveau...

JMW Turner. Whalers. 1845.

Un tigre dans la tête. En 1869, Jules Verne, dans "20 000 lieues sous les mers", met en scène un avatar conçu par l'Homme, le Nautilus.  Comme pour Mocha Dick et ses lieutenants 25 ans auparavant, les assureurs décident, en 1866, de monter une expédition punitive contre un mystérieux animal destructeur de navires, supposé être un narval géant. Le navire Abraham Lincoln échoue dans sa tentative au cours de laquelle il est endommagé par ce mystérieux ennemi. Celui - ci s'avère être un sous - marin, dirigé par un opposant aux anglais en Inde, descendant de Tippu Sahib, le Tigre de Mysore...

Fusées mysoraises de l'armée de celui avec qui Napoléon tenta de faire jonction lors de la campagne d'Egypte de 1798 pour prendre les anglais à revers...

... et leurs effets sur l'ennemi

L'automate sonore de Tippu Sultan

Le Nautilus combat les calmars géants, et une adaptation soviétique de 1975 le nomme "La Baleine de Fer"...

En 1939, Mickaïl Boulgakov figurera un chat noir de la taille d'un hippopotame, vicieux et cruel, associé au Diable, mais en fin de compte libérateur, car il permet aux héros positifs de s'échapper - dans tous les sens du terme - d'une Moscou en feu de l'URSS stalinienne... Le chat s'appelle BEHEMOTH (бегемот)   Boulgakov (M). Le Maître et Marguerite. 1927 /1939. Dernières corrections 13 février 1940. Publication intégrale en URSS en 1973. Version française Eds. Pocket, 1er mars 2003.

Combinaisons politico - littéraires. En 1941, 99 ans après la victoire de Mocha Dick sur la flotte baleinière entre Hawaï et le Japon...

JMW Turner. Tempête de neige en mer. 1842. "Peintre de la lumière", auteur de scènes de chasse à la baleine que lui aurait peut être inspité (selon Melville) la lecture de Thomas Beale, Turner décède le 19 décembre 1851 (deux mois après l'édition américaine de "Moby Dick) en déclarant : "Le Soleil est Dieu". 

...  et quelques mois avant l'opération TIGRE (TORA) sur Pearl Harbor, il est  publié un ouvrage de Marukawa Hisatoshi, destiné à l'édification des jeunes gens, et à la tonalité singulière. Il s'agit de "Carnet de bord d'un Navire Baleinier", destiné à expliquer (et donc promouvoir) le métier aux écoliers. Il raconte l'histoire d'un jeune harponneur qui a commencé à exercer à 13 ans. Il est maintenant marié et a un fils. Un jour, son navire arrive à proximité d'un mâle, d'une femelle et de son petit. Son capitaine lui demande de tuer le baleineau, ce qu'il fait. Il constate ensuite que sa mère se rend à ses côtés, l'inondant et le recouvrant de son lait. Le harponneur pense alors à sa femme et à son bébé nouveau - né. Son capitaine lui ordonne de tuer la femelle. Il prie, et obéit. Peu après cet incident, il change de métier...     L'année suivante (celle de la publication de Neumann), Irwin Shapiro publie "How Old Stormalong captured Mocha Dick" qui est aussi une façon d'encourager les troupes américaines. En Novembre de la même année, Nicolas Baïkov présente "Le Grand Van, histoire d'un tigre de Mandchourie" au Congrès des écrivains de Tokyo, de la Grande Asie de l'Est, où il est présent en tant que l'un des 6 écrivains de "l'Etat Libre du Manchoukouo" allié et auxiliaire du Japon. L'écrivain Kan Kikuchi considère publiquement l'ouvrage comme "un travail de premier ordre de la littérature animalière mondiale". 

L'année suivante (1943), le film américain de propagande "Why we fight" illustre la Bataille d'Angleterre à travers une animation ou le cachalot nazi continental, noir et affublé d'une croix gammée sur la hure, se prépare à engloutir la Grande Bretagne... 

 http://atlanticsentinel.com/2016/06/how-the-nazis-planned-to-invade-great-britain/

Je retranscris ici, également, l'excellent commentaire au présent article déposé par Alexis, aux contours très originaux et circonstanciés, sur le "Pinocchio" de Disney (ainsi que ma réponse à celui - ci et un élément additionnel à celle -ci : 

COMMENTAIRE :  Bonjour,

je suis toujours aussi impressionné par les articles de votre blog, la plupart d'entre eux sont réellement fascinants, avec une quantité imposante de références artistiques.

Concernant les cétacés, il me semble pourtant (sauf erreur de ma part) que vous n'avez jamais cité une des plus emblématiques : le dessin animé Pinocchio de Walt Disney et sa célèbre baleine (en fait, un cachalot).

Détail(s) intéressant(s) : la présence d'un cachalot est une pure invention de Disney, cet animal n'existe pas dans le récit original de l'Italien Collodi (il est remplacé par un requin).
La scène où il apparaît est d'ailleurs particulièrement dramatique (après avoir mis le feu à l'intérieur du monstre des mers, Pinocchio perdra la vie à l'issue du combat contre lui, une fin inouïe dans une production Disney), contrairement au récit italien (Pinocchio sort sain et sauf de la gueule de la bête, profondément endormie).

"La raison pour laquelle Disney a transformé le terrifiant squale en un cétacé n'est pas certaine", dit Wikipédia.

A la lumière de vos articles, il est un détail fort troublant : le dessin animé date de 1940, quasiment un siècle après plusieurs épisodes de l'épopée melvillienne (sermon de Jonas, embarquement sur l'Acushnet) et le récit "The descent in the Maëlstrom" de Poe. Encore plus déconcertant, il a été réalisé juste avant que les USA n'engagent la guerre contre l'Axe et spécialement le Japon (cf. le film "Why we fight").

Ce qui me fait penser que ce dessin animé est une sorte de Miyazaki à l'envers (par les valeurs éthiques et morales qu'il véhicule), voire un film de propagande masqué sinon INCONSCIENT (alors que Disney avait produit des oeuvres ouvertement engagées, la plupart oubliées aujourd'hui).

"les cauchemars futurs des représentations collectives aux Etats-Unis [...]"

Autre détail intéressant : bien que connu de manière universelle, le dessin animé Pinocchio (je parle ici de celui des studios Disney) est finalement peu connu du public européen (peu de diffusions TV et de produits dérivés), contrairement aux Etats-Unis où il a eu un impact retentissant : les films de Spielberg sont bourrés de références à cette oeuvre, par exemple.

J'y vois plusieurs raisons : 1- la date de sortie (1940, beaucoup de productions américaines sont censurées dans la plupart des pays d'Europe à l'époque), 2- l'extrême violence de certaines scènes (je pèse mes mots ; même si on dit que Disney a coutume d'édulcorer les contes européens, c'est L'INVERSE qui se produit ici, non sans raison étant donné les résonances inconscientes du film), 3- le caractère plus ou moins consciemment américanisé du héros, assez difficile à décoder en Europe et carrément indésirable en Italie. Le neveu de Collodi, Paolo Lorenzini, demanda au ministère italien de la Culture d'engager un procès contre Disney pour avoir modifié l'œuvre de son oncle au point que Pinocchio « [pouvait] être facilement pris pour un américain »

En fin de compte, le Pinocchio de Disney est aussi une sorte d'avatar de la géopolitique américaine des années 1940, entre quête des origines (l'Europe, pour la population blanche -> NDLR : la présence amérindienne est outrancièrement caricaturée, réduite à des animations de foire vers le milieu du film) et désirs belliqueux plus ou moins refoulés.

L'article sur Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Pinocchio_(film,_1940)

Bonne soirée,

Alexis

REPONSE :  Cher Alexis, votre réflexion est extrêmement intéressante et probablement féconde. Bien des choses que vous abordez sont entièrement nouvelles pour moi (l'initiative de Paolo Lorenzini...). Le lien entre la date de sortie du dessin animé (que je connais fort bien par ailleurs, ayant des enfants qui ont mangé du Miyazaki, Pinocchio, Samson & Sally matin, midi, et soir) et la montée des périls m'avait en effet totalement échappé... De fait, je me suis, depuis longtemps (et pas forcément sur mon blog d'ailleurs) intéressé au livre de Collodi lui même (1881, 10 ans avant la mort de Melville), où la connexion avec Jonas est évidente puisque il s'agit d'une métamorphose aussi physique (et même alchimique : transsubstantiation du "mauvais bois") que morale et spirituelle, dans le ventre du terribile pescacane (requin chien d'1km de long - D'Arrigo a peut - être aussi un peu pensé à lui pour l'édification de l'Orcaferon -, à la gueule haute comme un immeuble et aux 6 rangées de dents... Mais plus encore, c'est la "rédemption" de Collodi lui même (comme Melville des décennies auparavant). La première version contient en effet 15 chapitres, et le livre se termine par le suicide par pendaison de Pinocchio desespéré. A la demande de son éditeur insatisfait, Collodi écrit une seconde version très expansée (36 chapitres) où ce qui était une "instruction pour les jeunes enfants" reflétant la misère et la famine ordinaires, change d'échelle, et tend à devenir épopée (là aussi, ceci annonce peut -être le tsunami D'Arrigo)... Merci encore.

ELEMENT ADDITIONNEL :  Et, jetant un coup d'oeil sur la page Wikipedia de Paolo Lorenzini, je constate qu'il a beaucoup écrit sur Pinocchio et sur son oncle (au moins 7 ouvrages répertoriés) ainsi que : Sussi et Biribissi. Histoire d'un voyage au centre de la terre , Florence, Salani, 1902, qui est considéré comme son travail le plus célèbre, et dont il écrira une suite publiée en 1951... Symmes Hole is forever.

Le "terribile pescecane" de Collodi

Monstro, le cachalot meurtrier de Disney

Un avatar, dans "Once upon a time"

 

L'histoire est un tourbillon. A la fin du roman de Jules Verne, le Nautilus est englouti, au large des îles Lofoten, par le Grand Maëlstrom de Norvège. Or, ce tourbillon est un autre lui - même.  

Le "Maëlstrom" est, étymologiquement, le "courant du moulin" ou "courant de la meule". Ceci se rattache à l'ancien mythe scandinave d'un moulin qui peut moudre (et donc produire) tout ce qu'on lui demande, mais dont il est fait un usage inconsidéré. Finalement jeté à la mer par des propriétaires incapables d'arrêter sa production de sel, il mouline l'Océan pour l'éternité, salant celui - ci et créant le Maëlstrom.

Selon une légende des Lofoten, c'est en fait une baleine engloutisseuse dont le tourbillon est la bouche, les rochers sont les dents et l'écume est le sperme... Ses yeux sont -ils aussi grands que des meules ou des roues de moulin, comme ceux des chiens géants du monde souterrain, dans le conte d'Andersen "Le briquet"?

Et pourquoi ceux du vieux mâle de Melville cité plus haut ont - ils disparu? Le Maelström est également qualifié de  "trou noir de l'Océan", ce qui est aussi le cas du "trou de Symmes", théorie scientifique des premières décennies du XIXème siècle, d'une Terre creuse avec une ouverture à chaque pôle. Jeremiah Reynolds, l'auteur de "Mocha Dick, 1839", comme Edgar Allan Poe (dans " the Narrative of Arthur Gordon Pym of Nantucket", 1838)  s'intéresseront directement à la question. Poe remet sur l'ouvrage en 1841, avec "The descent in the Maëlstrom", l'année où Melville descend réellement dans le sien, qui est aussi la gueule et l'estomac de la baleine... Comme pour les habitants des Lofoten, le tourbillon et la baleine se confondent. En 1864 (soit 5 ans avant "20 000 lieues sous les mers"), Jules Verne propose pour sa part le cratère d'un volcan islandais éteint, le "Sneffels" - actuel Snaefellsjökull -, comme porte d'entrée au centre de la Terre... où ils découvrent un troupeau de mastodontes guidé par ce qui ressemble à un humanoïde géant, et assistent au combat de monstres aquatiques antédiluviens...

Mocha Dick resurgit du trou noir en 1985 dans le roman "The Symmes Hole" du néo - zélandais Ian Wedde, où il est présenté comme le résistant invincible à toutes les initiatives destructrices de l'Humanité : In Wedde's novel, cetaceans embody the persistence of the incalculable and unpredictable within complex systems, the action of factors that escape, resist or defeat human enterprises and systems of order. This wayward agency is repeatidly associated with Mocha Dick, the white whale, the real nineteenth century rogue sperm whale who was one of the models for Herman Melville's Moby Dick. Wedde's novel often returns to the rumored movements of this überleviathan, who becomes the antithesis of many enterprises launched in the Pacific by euro – american modernity... Resisting, eluding or defeating all such ambitions, appearing unexpectedly to attack whaleboats and ships, Mocha Dick cruises the Pacific : « The White Knight, the Avenger...lone guerilla defender of his peaceful folk ». Accounts of his death, and there are many, are always exaggerated « no fluke chain was ever heard to rattle down the house pipe for Mocha Dick... There could be no literal end for Mocha Dick like that ». The white whale survival and his ongoing guerrilla campaign rely not just an appearence when least expected as on non appearence when expected, he can feel them plotting the interstices of his movements, he begins to break pattern, like the best terrorist he became inconsistent, he's never where he's supposed to be, hence the lack of « authenticated » sightings... Elevated to mystic status by whalemen of the Pacific including Melville, Mocha Dick becomes a « thought whale », an imaginative inspiration for all the form of agency resistant to modern rationalism and commodity culture « There he slowly swims below the surface of your present »

Et en 2012, dans la bande dessinée chilienne "Mocha Dick, la leyenda de la balena blanca" qui reçoit un accueil enthousiaste en Amérique du Sud, il redevient le Géant Originel, ancêtre des 4 baleines qui emportent les âmes des morts sur l'île Mocha dans le Trempulcahue mapuche, comme les 4 cachalots néo zélandais, dont le géant Tautara kauika, emmènent le héros maori sur White Island (5).

 

 

La constitution du paysage. Une pulsation osirio - dionysienne (Osiris et Dionysos, deux divinités démembrées et recomposées, qui apparaissaient parfois, respectivement, sous la forme d'un hippopotame pour le premier et d'un tigre pour le second). 

1842 est l'année du Grand Tournant dans la Première guerre du Pacifique, qui ouvre les Grandes Portes d' Ecluses pour la Victoire Merveilleuse du Behemoth (l'armée des cachalots) sur Léviathan (la flotte baleinière américaine). Mais pour ce dernier, c'est une défaite indolore (sauf dans les cauchemars futurs des représentations collectives aux Etats - Unis), car 1000 fois compensée par une prise de contrôle croissante du Pacifique dans son entièreté. Alors que cet Océan géant est officiellement un "lac russe" (7), le pays des tsars contrôlant théoriquement l'Alaska, Hawaï et la Californie, le gouverneur de Khabarovsk Etholin doit faire des pieds et des mains pour qu'une corvette vienne démanteler une station baleinière américaine installée indûment dans les îles Shantar... Mouraviev renonce à la Russie d'Amérique, et décide de "mettre le paquet" sur "le Paradis Amourien". Une nouvelle épopée commence, qui se poursuit aujourd'hui. Par la suite, les Etats - Unis incorporent officiellement la Californie en 1848, impose l'ouverture des ports japonais en 1853, achètent l'Alaska à la Russie en 1867, annexent Hawaï en 1890...

Paradis terrestre et Rêve américain. Ces deux notions sont intimement liées dans l'imaginaire étatsunien, le second étant personnifié (c'est bien le mot), par la Prairie (comme entité tout comme roman éponyme de Fenimore Cooper) (8). L'odyssée du Pequod ("Moby - Dick) commence (début 1842) à peine un siècle après la dernière expédition en date lancée à la recherche du Paradis terrestre (Anton Lomaev, 9), qui est bien sûr "La Première des Oeuvres de Dieu"... De ce point de vue, le Pacifique constitue un "wilderness fantôme" gigantesque. Nicolas Baïkov évoque la forêt mixte mandchoue comme "Chou - Hai" ; "l'Océan d'arbres". Sa dernière publication sera un adieu à celui - ci. Comme les américains s'emparent du Pacifique, les Japonais tentent de le faire avec la Sibérie (une première fois de 1918 à 1922, une seconde fois en 1937 et 1938...) (10).

Prise de Vragaeschensk (Blagovechtchensk) par les troupes japonaises le 23 septembre 1918

 

CONTINENTS BLANCS (au Sud, l'Antarctique, au Nord, l'Arctagaïa russe)...

Le Tigre de l'Amour ouvre les Grandes Portes d' Ecluses pour un nouveau Rêve Américain. Léviathan ontologiquement belliqueux (11), héritier d'une culture glaciaire la plus hostile de la planète aux grands cétacés (12, 9), les Etats - Unis cherchent toujours et encore à se confronter Au Behemoth russe... En tout état de cause, l'odyssée amourienne, qui dessine désormais les contours d'une expansion des tigres dans la région, leur retour de moyen terme en Asie centrale, et plus tard la reconstitution du Félin Géant Eurasien "préhistorique" (13) constitue un exemple pouvant ouvrir la Voie à un nouveau Rêve Américain. Les Etats - Unis peuvent se réconcilier avec eux - mêmes en favorisant les cachalots comme les russes le font avec les tigres.

Ils disposent, à travers le roman "Moby Dick", d'une formidable armature culturelle pour celà, un authentique texte sacré et mythe fondateur de l'Amérique moderne, comme les russes possèdent le leur (14)*.  Celui qui avalait les balles comme Moby Dick les harpons (15) montre le chemin (même si c'est celui du Labyrinthe). Car qu'est la Vie, sans le sel?

Natalia Avseenko avec des bélougas dans la Mer Blanche, en 2011.

* Le Behemoth de Boulgakov se révolte du présentéisme de ses interlocuteurs lors d'une discussion animée sur la littérature, et s'exclame : "Dostoïevski est IMMORTEL!"

1. Profondeur, profusion. Mis en ligne le 30 mars 2015.

2. Un rocher sur la lande. Mis en ligne le 27 février 2016.

3. Retour dans la Mère Patrie. Mis en ligne le 27 mars 2016.

4. Une massue archangélique. Mis en ligne le 30 septembre 2017.

5. Les vieux soldats ne meurent jamais. Mis en ligne le 22 février 2017.

6. Une révolution bleue. Mis en ligne le 13 février 2017.

7. Michel PoniatowskI. 1978. Histoire de l'Amérique russe et de l'Alaska. Eds. Perrin.

8. Yves Berger. 2003. Dictionnaire amoureux de l'Amérique. Eds. Plon.

9. Une âme slave. Mis en ligne le 8 octobre 2017.

10. Guerre et Paix. Mis en ligne le 26 juillet 2015.

11. Soleil couchant. Mis en ligne le 11 décembre 2015..

12. Culture glaciaire. Mis en ligne le 1er mai 2017.

13. Tiers inclus. Mis en ligne le 1er décembre 2017.

14. Russie: enlumineurs réinclus. Mis en ligne le 5 avril 2015.

15. Burning bright. Mis en ligne le 21 décembre 2017.

16. Cialowicz (K.M). 2001. La naissance d'un royaume. L'Egypte dès la période prédynastique à la fin de la 1ère dynastie. Instytut Archeologii, Uniwersytetu Jagiellonskiego, Ksiegarnia Akademicka, Krakow.

17. Drioton (Etienne). 1948. Le texte dramatique d'Edfou. Annales du service des antiquités de l'Egypte 11, 17 – 51.

18.Säve – Söderbergh (Torgny). 1953. On egyptians representations of hippopotame hunting as a religious motive. Horae Soederblomaniae. Travaux publiés par la Société Nathan Söderblom. 61 pages.

https://docslide.us/documents/save-soderbergh-on-egyptian-representations-of-hippopotamus-hunting-as-a.html

19. De Witt (C). 1958. Une représentation rare au Musée du cinquantenaire : La fête de l'hippopotame blanc. CdE 33 (65), 24 – 28.

20. Lacovara (P). 1992. A new date for an old hippopotamus. J. Mus. Fine Arts 4 ? 17 – 26.

http://www.gizapyramids.org/static/pdf%20library/bmfa_pdfs/jmfa04_1992_17to26.pdf

21. Rouch (J). 1997. Les hommes et les dieux du fleuve. Essai ethnographique sur les populations songhay du moyen Niger 1941 – 1983. Editions Artcom'.

 

 

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commentaires

T
Bonjour,<br /> <br /> je suis toujours aussi impressionné par les articles de votre blog, la plupart d'entre eux sont réellement fascinants, avec une quantité imposante de références artistiques.<br /> <br /> Concernant les cétacés, il me semble pourtant (sauf erreur de ma part) que vous n'avez jamais cité une des plus emblématiques : le dessin animé Pinocchio de Walt Disney et sa célèbre baleine (en fait, un cachalot).<br /> <br /> Détail(s) intéressant(s) : la présence d'un cachalot est une pure invention de Disney, cet animal n'existe pas dans le récit original de l'Italien Collodi (il est remplacé par un requin).<br /> La scène où il apparaît est d'ailleurs particulièrement dramatique (après avoir mis le feu à l'intérieur du monstre des mers, Pinocchio perdra la vie à l'issue du combat contre lui, une fin inouïe dans une production Disney), contrairement au récit italien (Pinocchio sort sain et sauf de la gueule de la bête, profondément endormie).<br /> <br /> "La raison pour laquelle Disney a transformé le terrifiant squale en un cétacé n'est pas certaine", dit Wikipédia.<br /> <br /> A la lumière de vos articles, il est un détail fort troublant : le dessin animé date de 1940, quasiment un siècle après plusieurs épisodes de l'épopée melvillienne (sermon de Jonas, embarquement sur l'Acushnet) et le récit "The descent in the Maëlstrom" de Poe. Encore plus déconcertant, il a été réalisé juste avant que les USA n'engagent la guerre contre l'Axe et spécialement le Japon (cf. le film "Why we fight").<br /> <br /> Ce qui me fait penser que ce dessin animé est une sorte de Miyazaki à l'envers (par les valeurs éthiques et morales qu'il véhicule), voire un film de propagande masqué sinon INCONSCIENT (alors que Disney avait produit des oeuvres ouvertement engagées, la plupart oubliées aujourd'hui).<br /> <br /> "les cauchemars futurs des représentations collectives aux Etats-Unis [...]"<br /> <br /> Autre détail intéressant : bien que connu de manière universelle, le dessin animé Pinocchio (je parle ici de celui des studios Disney) est finalement peu connu du public européen (peu de diffusions TV et de produits dérivés), contrairement aux Etats-Unis où il a eu un impact retentissant : les films de Spielberg sont bourrés de références à cette oeuvre, par exemple.<br /> <br /> J'y vois plusieurs raisons : 1- la date de sortie (1940, beaucoup de productions américaines sont censurées dans la plupart des pays d'Europe à l'époque), 2- l'extrême violence de certaines scènes (je pèse mes mots ; même si on dit que Disney a coutume d'édulcorer les contes européens, c'est L'INVERSE qui se produit ici, non sans raison étant donné les résonances inconscientes du film), 3- le caractère plus ou moins consciemment américanisé du héros, assez difficile à décoder en Europe et carrément indésirable en Italie. Le neveu de Collodi, Paolo Lorenzini, demanda au ministère italien de la Culture d'engager un procès contre Disney pour avoir modifié l'œuvre de son oncle au point que Pinocchio « [pouvait] être facilement pris pour un américain »<br /> <br /> En fin de compte, le Pinocchio de Disney est aussi une sorte d'avatar de la géopolitique américaine des années 1940, entre quête des origines (l'Europe, pour la population blanche -> NDLR : la présence amérindienne est outrancièrement caricaturée, réduite à des animations de foire vers le milieu du film) et désirs belliqueux plus ou moins refoulés.<br /> <br /> L'article sur Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Pinocchio_(film,_1940)<br /> <br /> Bonne soirée,<br /> <br /> Alexis
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A
Et, jetant un coup d'oeil sur la page Wikipedia de Paolo Lorenzini, je constate qu'il a beaucoup écrit sur Pinocchio et sur son oncle (au moins 7 ouvrages répertoriés) ainsi que : Sussi et Biribissi. Histoire d'un voyage au centre de la terre , Florence, Salani, 1902, qui est considéré comme son travail le plus célèbre, et dont il écrira une suite publiée en 1951... Symmes Hole is forever.
A
Cher Alexis, votre réflexion est extrêmement intéressante et probablement féconde. Bien des choses que vous abordez sont entièrement nouvelles pour moi (l'initiative de Paolo Lorenzini...). Le lien entre la date de sortie du dessin animé (que je connais fort bien par ailleurs, ayant des enfants qui ont mangé du Miyazaki, Pinocchio, Samson & Sally matin, midi, et soir) et la montée des périls m'avait en effet totalement échappé... De fait, je me suis, depuis longtemps (et pas forcément sur mon blog d'ailleurs) intéressé au livre de Collodi lui même (1881, 10 ans avant la mort de Melville), où la connexion avec Jonas est évidente puisque il s'agit d'une métamorphose aussi physique (et même alchimique : transsubstantiation du "mauvais bois") que morale et spirituelle, dans le ventre du terribile pescacane (requin chien d'1km de long - D'Arrigo a peut - être aussi un peu pensé à lui pour l'édification de l'Orcaferon -, à la gueule haute comme un immeuble et aux 6 rangées de dents... Mais plus encore, c'est la "rédemption" de Collodi lui même (comme Melville des décennies auparavant). La première version contient en effet 15 chapitres, et le livre se termine par le suicide par pendaison de Pinocchio desespéré. A la demande de son éditeur insatisfait, Collodi écrit une seconde version très expansée (36 chapitres) où ce qui était une "instruction pour les jeunes enfants" reflétant la misère et la famine ordinaires, change d'échelle, et tend à devenir épopée (là aussi, ceci annonce peut -être le tsunami D'Arrigo)... Merci encore.

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