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1 janvier 2021 5 01 /01 /janvier /2021 06:52

Il en faut peu pour être heureux ; les tribulations de "Happy Jack".

"Voir le Grand Jour qui se lève, et la Lumière envelopper le monde". Poème Inuit.

Depuis l'aube des temps, les hommes sculptent ou gravent les os, cornes et dents des animaux qu'ils ont tués ou trouvés morts. La célébrissime "Vénus de Brassempouy" représentée avec la tête recouverte d'une résille, a été réalisée il y a environ 25 000 ans dans la défense d'un mammouth fraîchement abattu.

Nous effleurons ici certains aspects peu connus de l'usage artistique ou fonctionnel de l'ivoire de morse et de cachalot, et des os de rhytine. 

MORSE. Le travail de l'ivoire des canines supérieures de ce mammifère marin est un art populaire important pour les peuples de l'Arctique (Inuit, Inupiak, Yupik du Groenland et de l'Amérique du Nord, Tchouktches et Koryaks de Russie) depuis la préhistoire.

Gravure sur défense de morse, Musée régional de Magadan (extrême-orient russe).

Dans l'Europe médiévale, l'ivoire de cet animal suivait une route commerciale contrôlée par les vikings, du Nord du Groenland à la Scandinavie, les îles britanniques, le Nord de l'Allemagne et de la France.

Croix reliquaire anglo-saxonne du XIème siècle.

Cette pratique artistique est populaire en Russie européenne depuis le moyen-âge, avec des écoles de gravure et sculpture très productives à Kholmogory (Russie du Nord-Ouest) et Tobolsk (Sibérie du Sud-Ouest). 

A l'époque soviétique, les établissements de l'extrême -orient septentrional dédiés à cette pratique sont progressivement regroupés à Uelen, à l'extrême-Nord de la péninsule des Tchoutktches, établissement eurasien le plus proche de l'Amérique, qui devient alors le centre artistique et commercial le plus important au monde, après avoir absorbé la population et les savoir-faire d'un nombre significatif de villages (Dezhnevo, puis Naukan, ainsi que des villages plus petits du Cap Dezhnev, dans le secteur des îles Diomède). Des sculpteurs réputés comme Pyotr Penkok et Stepan Ettugi travaillent à Uelen.

https://www.jstor.org/stable/42870232?seq=1

Après l'effondrement de l'URSS, les artistes se sont reconvertis dans des activités graphiques sur des supports différents.

https://www.adn.com/arctic/article/siberian-ivory-carvers-turn-printmaking-help-alaska-canada/2013/12/27/

L'importateur mondial le plus important à l'heure actuel est Hong Kong. Dans ce cadre, des éditeurs de cette région administrative spéciale publient des ouvrages d'art monumentaux, dont voici un exemple : Bartholomew (Bruce). 2015 (December 28). Savoonga ivory carvers : A Yupik Ivory Carving Tradition on St Lawrence Island, Alaska. Publisher : CA Design, Hong Kong. 560 pages.

 

CACHALOT. La gravure de "Scrimshaw"* sur des dents de cachalot -ils peuvent être aussi effectués sur de simples os- a probablement commencé à bord des navires baleiniers vers la fin du XVIIIème siècle.

* Le terme anglophone "Scrimshaw" désigne l'artisanat issu de gravures réalisées par les chasseurs de baleines sur les produits tirés de différents mammifères marins. Elles sont effectuées principalement sur les os et les dents des cachalots ou les fanons des mysticètes, ainsi que sur les défenses des morses ou des narvals.

De fait, cette activité a été occasionnellement réalisée depuis la préhistoire. En 1901, Jean Maury découvre dans la grotte du Mas d'Azil (Ariège) deux superbes sculptures de bouquetins réalisées dans une dent de cachalot, il y a environ 16000 ans.

https://www.sites-touristiques-ariege.fr/histoire-dun-objet-la-dent-de-cachalot-sculptee/

Une production massive et démocratique devient économiquement possible à partir de 1815, et la première pièce authentifiée date de 1817, issue d'un cachalot tué au large des Galapagos : The widespread carving of scrimshaw became possible after the 1815 publication of the journal of U.S. Navy Captain David Porter exposed both the market and the source of the whale teeth, causing a surplus of whale teeth that greatly diminished their value and made them available as a material for ordinary seamen. Around this time is the earliest authenticated pictorial piece of sperm whale scrimshaw (1817). The tooth was inscribed: "This is the tooth of a sperm whale that was caught near the Galápagos Islands by the crew of the ship Adam [of London], and made 100 barrels of oil in the year 1817."

Une réalisation de l'artiste Robert Weiss... 

 ... et autres :

Une baleine franche géante du Pacifique Nord, gravée sur un os de cette espèce (probablement au cours du premier "Bowhead rush" des années 1840 et 1850 dans le détroit de Béring) :

D'autres réalisations sur dents de cachalot :

Et une sirène, gravée par l'artiste japonais Takeshi Yamada :

Un cachalot blanc, enchâssé à l'intérieur de la dent d'un congénère ; réalisation de l'artiste Armando Ramos.

 

ANGOKWAZHUK ("HAPPY JACK"), UN MELVILLE INUPIAK, ENTRE MORSE ET CACHALOT. Vivant sur l'île "Petite Diomède", le jeune graveur de 19 ans retint l'attention, en 1892, du capitaine baleinier Hartson Bodfish, qui l'invita à son bord... Baptisé "Happy Jack" par l'équipage, le jeune homme enrichit encore ses talents artistiques au contact de ses hôtes. Il forgea ainsi les éléments du style actuel de gravure et sculpture arctique en combinant les anciens motifs légendaires et les "scrimshaw" modernes des baleiniers. Voir son portrait et son parcours, l'une de ses réalisations (1900) et une photo où il est en couple (1910), ici :

https://americanindian.si.edu/static/exhibitions/infinityofnations/arctic-subarctic/053086.html

Voir aussi : Ritter (Harry). 1993. Alaska's History. The People, Land, and Events of the North Country. Nolan Hester eds. Alaska Northwest books.

"HAPPY JACK" est mort en 1918, à l'âge de 45 ans.

 

UN CAS PARTICULIER : LA RHYTINE DE STELLER. La "vache de mer", sirénien géant, pacifique, végétarien, découvert par Georg Wilhelm Steller en Novembre 1741 en même temps que les îles aléoutiennes occidentales où ses populations prospéraient, elle est officiellement disparue (exterminée) dès la fin des années 1760.

 

Voir à ce sujet le magnifique et très complet ouvrage de Fabrice Genevois : "Le crépuscule des vaches de mer" publié en 2012 aux éditions "Le Guetteur".

https://www.bibliotheques-clermontmetropole.eu/s/id_clercopat_X100155027.html

De fait, son histoire ne s'est probablement pas arrêtée à cette époque, et s'est poursuivie discrètement jusqu'aux années 60 du siècle dernier, au moins :

http://europe-tigre.over-blog.com/2015/04/la-condition-humaine.html

http://europe-tigre.over-blog.com/2015/09/kamtchatka-en-toute-logique.html

Les sculpteurs Yupik de Savoonga (référencés plus haut dans le livre d'art sur l'ivoire de morse publié à Hong Kong) sont les descendants de ceux qui, sur l'île St Laurent, mirent un terme à l'existence d'une population de rhytines entres les années 1060 et 1130 :

https://royalsocietypublishing.org/doi/10.1098/rsbl.2014.0878

Des éléments intéressants sur l'utilisation des parties du corps de cet animal qui pouvait atteindre le volume d'un cétacé de taille moyenne (dans ses notes, Steller évoquera même "un petit cachalot" avant de constater la particularité radicale de l'animal qu'il observait) sont mentionnés par le peintre naturaliste Henry Wood Elliott*, dans sa contribution personnelle aux publications du Congrès américain concernant la pêche au phoque en région arctique, publiées en 1898 : United States Congressionnal Serial Set. 1898. Volume 3578. 55th Congress. First Session. House of Representatives. Doc. N°92, Part 3. Seal and Salmon Fisheries and general Resources of Alaska. In Four Volumes. Volume III. Washington. Government printing office.  Henry Wood. Elliott, a écrit le premier chapitre «The seal islands of Alaska » pages 3-289.

L'auteur mentionne que les aléoutes sculptent et gravent les os des rhytines, enterrés peu profondément longtemps après leur disparition, et les utilisent aussi comme patins de traineau. Souhaitant étudier l'animal précisément, il paya des villageois pour collecter des os, et pu ainsi récupérer " 21 casks, 3 large boxes, and barrels full of Rhytina bones ». Il note, qui plus est, qu'il restait des rhytines sur l'île Béring entre 1777 et 1780, qu'elles furent tuées, leur coeur dévoré, et leur dos épais et graisseux divisé en deux utilisé pour la confection du bateau traditionnel aléoute, le biddarah ("baidarka, Aleutian kayak)... Sea cows killed between 1777 and 1780, Heat eaten, hide used for bidarrahs (Nativa alaskan boats) : In consequence of its sickness, the hide was split in two parts. Two such split hides were sufficient to cover a biddarah of 20 feet length, 7,5 feet width, and 3 feet depth.  Obtained from a russian/aleut « creole » of 67 years, of clever appearance and perfect mental condition, said that his father died in 1847, aged 88. The father was from Wolhynien, and came to Bering Island when 18 years old of age, in 1777. The first two or three years after his arrival, they used to kill sea cows as they grazed at low-water mark.

* L'auteur corédigea en 1911 avec le secrétaire d'état John Ray la première convention internationale pour la protection des otaries à fourrure : Henry Wood Elliott (November 13, 1846 – May 25, 1930) was an American watercolor painter, author, and environmentalist whose work primarily focused on Alaskan subjects. He was the author of the 1911 Hay-Elliott Fur Seal Treaty, the first international treaty on wildlife conservation.

A number of his works have an ethnographic bent, displaying aboriginal Alaskans engaging in traditional practices; some of these works are stored in the National Anthropological Archives at the Smithsonian. Elliott also focused on the Alaskan landscape and wildlife.

In 1886, Elliott published a book entitled Our Arctic Province: Alaska and the Seal Islands, which contains an in-depth exploration of Alaska's history, geography, people, and wildlife.

He became involved in early conservation efforts of the fur seal, in 1905 co-authoring a document with United States Secretary of State John Hay that would eventually become the North Pacific Fur Seal Convention of 1911, the first international treaty dedicated to the conservation of wildlife.

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