BASCULEMENT SOLSTICIAL.
Ceci fait suite à "Vingt ans plus tard" mis en ligne le 29 novembre dernier.
AU COEUR DES TENEBRES. Il y a 20 ans aujourd'hui, dans le Sud de l'extrême - orient russe, Yuri Trouch, de l'inspection tigre, parvenait à tuer un mangeur d'hommes dans des conditions épiques, échappant lui même d'un cheveu à une mort certaine. Du 3 au 21 décembre 1997, le tigre avait semé la terreur dans la Panchelaza, une petite région du bassin de la rivière Bikin, où celle - ci conflue avec deux de ses affluents.
Cette situation résultait d'une compétition à mort entre hommes et grands félins, appauvris et désespérés, dans un pays en chaos et morcellement. Cette affaire a provoqué une réaction chez les russes, le malheur de tous dans les années 90 évoquant le "temps des troubles" du début du XVIIème siècle, où Souveraineté, villes, villages et paysans, femmes, animaux sauvages étaient vendus à l'encan et dispersés aux quatre vents ("Retour dans la Mere Patrie", mis en ligne le 24 mars 2016)*.
REUNIFICATION, RESUBSTANTIATION. Depuis 1993, des hommes courageux avaient engagé "l'opération Amba" pour sauver les derniers tigres des griffes des mafias russe et chinoise. Les évènements de décembre 1997 mirent en lumière une même situation entre tigre et russie : le démembrement et l'éparpillement, et la nécessité impérieuse et vitale d'une réaction vigoureuse contre cet état de fait. Dès l'année suivante, l'électrochoc a permis in extremis au pays d'éviter la dislocation complète, puis de recouvrer progressivement sa souveraineté territoriale, d'entrer dans un processus de réunification des esprits, et de générer, pour la première fois dans l'Histoire, la première grande culture européenne du tigre.
RECIT. John Vaillant, en 2010, sut donner à ses évènements toute leur dimension épique. Il évoqua un animal dont le feulement d'attaque produisait un effet sismique, dont la tête était "grosse comme la Lune" et qui "avalait les balles comme Moby Dick les harpons".
DANS LES FORÊTS DE LA NUIT...
... UN CHEMIN VERS LA LUMIERE.
* Temps troublés, trésors perdus. Bien après la fin du joug tatar en Moscovie (1480), la Russie resta en partie impuissante à maîtriser des zones clefs de son territoire, perdant ainsi une partie significative de sa population humaine et animale, envoyée en esclavage ou en « pièces détachées » dans l'Empire Ottoman et en Occident. Depuis l'époque de la Horde d'Or comme à celle du Khanat de Crimée, la population slave était victime d'un trafic d'esclaves organisé à très vaste échelle. Ce trafic concernait surtout les femmes, apparemment tout aussi recherchées en Occident que dans l'Empire Ottoman. A en juger par les actes notariaux de Caffa (actuelle Théodosie), comptoir gênois en Crimée, elles étaient quatre fois plus nombreuses que les hommes .
Dans la deuxième moitié du XVIème siècle, Arkhangelsk fut largement utilisé par les Hollandais et les Anglais comme un comptoir à fourrure dont ils se considéraient comme propriétaires, dans une démarche typiquement coloniale.
Et si « Le Temps des Troubles » correspond à la période allant de 1598 à 1613 dans l'historiographie officielle, la Moscovie fut directement menacée d'anéantissement avant cette époque par le Khanat de Crimée, allié de l'Empire Ottoman. Moscou fut détruite en 1571 (80 000 morts, 150 000 prisonniers). De nouvelles tentatives intervinrent à sept reprises avant qu'une paix « définitive » ne soit signée en 1593. Pendant ce temps, Arkhangelsk fonctionnait à plein régime. Et c'est en 1579 que le voyageur polonais Martin Broniovius, qui se rendait en mission diplomatique auprès du khan de Crimée, observa ce qui semble être des rhinocéros dans les steppes d'Otchakov et de Savran. Sept ans plus tard, le français Jean Sauvage se rendit en Moscovie, le roi Henri IV marquant son inquiétude quant à l'avance anglaise et hollandaise dans « la course aux fourrures ». L'Angleterre mit à profit la désagrégation politique intérieure au début du XVIIème siècle pour faire main basse sur le comptoir à fourrures de Mangazeïa (ouvert en Sibérie occidentale en 1601), véritable plaque tournante commerciale, expédiant vers l'Occident fourrures, caviar en tonneaux, ivoire de morse (et peut être, qui plus est, les peaux et les cornes, respectivement, des derniers tigres et rhinocéros européens). La Moscovie se vit infligée la domination polonaise en 1610, heureusement de courte durée. Elle arracha une souveraineté factuellement partielle en 1613, puis retrouva sa pleine autonomie en 1619. Cette année là, Mangazeïa fut détruite par un incendie, derrière lequel transparaît un conflit de souveraineté entre l'Etat russe et une puissance étrangère (l'Angleterre), comparable à celui qui avait opposé, à la fin du Xvème siècle, puis au XVIème , Ivan III et Ivan IV à Novgorod et la Ligue Hanséatique.