Certains cétacés à dents deviennent-ils des "GAME CHANGERS" de l'industrie de la pêche partout dans le Monde?
Palangriers contre "voleurs et pillards". Les changements dans les techniques de pêche au cours des dernières décennies sont en train de modifier en profondeur l'écologie trophique au sein de l'Océan mondial et bouleversent les relations entre grands prédateurs piscivores. Le développement de la pêche à la palangre depuis une trentaine d'années font des cachalots, orques, pseudorques et globicéphales à nageoire courte les principaux compétiteurs des palangriers (et ce sans commune mesure, désormais, avec les requins ou les phocidés) . Ces derniers, parfois, en retour, tuent les cétacés, et dans le même temps, sont amenés à réduire leurs prises pour maintenir une viabilité durable des populations de poissons proies. Certains prédateurs consomment des espèces dont ils ne cherchaient pas à s'emparer auparavant. Par exemple, les globicéphales à nageoire courte de l'Atlantique s'attaquent aux thons et espadons prisonniers, ce qu'ils ne feraient jamais avec des individus libres de leur mouvement.
La "déprédation" (capture secondaire par les cétacés des poissons pris dans les filets de pêche) n'est pas nouvelle. En 1904, un cachalot a été trouvé au large des îles Shetland avec des hameçons dans l'estomac, probablement du fait de ce comportement particulier. Les cétacés ont été observés pour la première fois directement en train de manger du poisson dans les années 1950 dans diverses pêcheries mondiales. Depuis lors, le comportement est passé d'un phénomène mineur à un problème sérieux pour l'industrie halieutique mondiale.
L'une des raisons de l'augmentation des palangres était qu'à partir de 1992, l'Assemblée générale des Nations Unies a interdit les filets dérivants de plus de 2,5 kilomètres en haute mer en raison de leurs taux élevés de capture accidentelle et de mortalité de tortues de mer et de cétacés.
Dans les années 1990, l'utilisation des palangres a explosé dans les pêcheries du monde entier, alors que, simultanément, les populations de nombreuses espèces de baleines commençaient à rebondir après un siècle de massacres et que de nombreux stocks de poissons commençaient à montrer des signes de surpêche. Il existe deux principaux types de palangres utilisées dans les pêcheries mondiales. Les palangres démersales, qui peuvent mesurer de 1 à 40 kilomètres de long avec des milliers d'hameçons, souvent appâtés à la main, ciblent les poissons proches du fond de l'océan, y compris la morue charbonnière et le flétan dans le Pacifique Nord et la légine australe plus au sud. Les palangres pélagiques sont plutôt conçues pour les espèces de haute mer, généralement le thon et l'espadon. Ils comprennent jusqu'à 80 kilomètres de cordes suspendues à une série de bouées jusqu'à 600 mètres sous la surface et ont des centaines, voire des milliers d'hameçons appâtés.
Les scientifiques qui étudient le comportement des cétacés opportunistes affirment que ceux-ci ne cessent d'augmenter leurs prises au lieu de se nourrir "naturellement". Cette méthode se propage culturellement parmi eux.
"Au cours des cinq à dix dernières années, c'est devenu un gros problème dans un nombre croissant de pêcheries", explique Paul Tixier, biologiste à l'Institut national de recherche pour le développement durable, qui a écrit des dizaines d'articles sur ce phénomène en mettant l'accent sur le cachalot et l'épaulard ciblant la légine australe dans les océans du sud. Dans les îles Crozet, un territoire subantarctique français dans l'océan Indien, les épaulards et les cachalots mangent 30% du total des captures de légine, explique Tixier. Les gestionnaires des pêcheries françaises ont ajusté le quota en conséquence, imposant aux pêcheurs de prendre 300 tonnes de moins en 2010 qu'en 2009. D'autres régions où la légine est pêchée ont fait de même."
GOLFE D'ALASKA. Des cachalots "épluchent" les palangres pour récupérer les morues charbonnières en évitant les hameçons. Ainsi, ils peuvent consommer en 3 heures ce qui leur aurait demandé 12h dans des conditions "plus naturelles"... Ils somnolent non loin du navire avant que celui-ci n'installe les filets, ou, si celui ci est loin, ils vont à sa rencontre s'il est à moins de 55kms, de façon à ce que le coût énergétique reste inférieur au gain calorifique que leur procurent les morues. Leurs prélèvements représentent aujourd'hui 2,5% des prises des pêcheurs. Parfois, ils essuient des coups de feu rageurs, qui ne leur font ni chaud ni froid...
Les pêcheurs du golfe de l'Alaska se tournent de plus en plus vers les casiers traditionnels en remplacement des palangres dans le but de réduire la déprédation, par les grands cétacés, des prises de morues charbonnières. Conséquence vraisemblable : les cachalots commencent à s'attaquer aux flétans, ce qu'ils ne faisaient pas jusqu'alors et bien qu'ils n'apprécient que modérément la texture et le goût de ce poisson plat géant...
AUTRES CAS. Alors que les cachalots sont au centre du conflit dans la pêche à la morue charbonnière du golfe d'Alaska, ce sont les orques qui ont causé le plus de problèmes aux pêcheurs de morue charbonnière des îles Aléoutiennes et de la mer de Béring. Les orquess et les pseudorques ciblent également les pêcheries de thon et d'espadon dans l'hémisphère sud au large des côtes du Brésil, de l'Uruguay et de l'Argentine. Au large de la côte médio-atlantique des États-Unis, les globicéphales à nageoires courtes ciblent le thon et l'espadon (alors que ces 3 espèces de prédateurs ne s'affrontent jamais hors de ce contexte).
Les archives de la NOAA indiquent qu'aucun cachalot n'a été trouvé échoué dans le golfe d'Alaska avec une blessure par balle. Il est également difficile de tuer un cachalot avec une arme à feu - tout décès lié à une fusillade serait probablement dû à une infection de la plaie. Cela dit, la division de l'application de la loi de la NOAA, qui suit les décès d'origine humaine chez les mammifères marins, rapporte que de 2015 à 2020 aux États-Unis, 16 autres cétacés ont été retrouvés morts avec des blessures par balle. Le seul cas enregistré d'un pêcheur arrêté et poursuivi pour avoir tiré sur un cétacé aux États-Unis s'est produit au large du New Jersey. Un globicéphale à nageoires courtes s'est échoué sur une plage du New Jersey en 2011, s'accrochant à la vie avec une balle logée dans la mâchoire. Il est mort peu après d'une infection. Grâce à une analyse balistique, les autorités ont identifié un suspect : un pêcheur de thon à la palangre qui avait récemment publié une photo d'une tête de thon sur Facebook avec la légende : « Merci beaucoup les globicéphales ». Un aspect peu connu de la loi américaine sur la protection des mammifères marins est qu'elle permet un taux « durable » de mortalité des mammifères marins dans "des interactions accidentelles avec des êtres humains". Dans l'Atlantique Nord-Ouest, par exemple, 1 globicéphale noir sur 1000 (sur une population estimée à au moins 23 637 individus) pourrait être accidentellement blessé ou tué sans pénalité en 2020. Ce nombre varie évidemment en fonction de la taille de la population de l'espèce.
La Commission des pêches du Pacifique occidental et central, qui supervise la région thonière la plus productive de la planète, dans l'océan Pacifique, indique qu'entre 2015 et 2020, les observateurs à bord ont documenté 266 cétacés accrochés et relâchés vivants des palangres, 56 autres qui sont morts, et 10 autres dont le statut vital est inconnu. La commission exige que les observateurs surveillent et établissent des rapports sur cinq pour cent de la pêche, mais de nombreux pays membres sont en deçà, de sorte que le nombre réel de cétacés morts ou blessés est presque certainement beaucoup plus élevé.
UN CAS PARTICULIER. Dans les pêcheries de thon tropical de l'océan Pacifique, la pseudorque est souvent l'espèce la plus susceptible d'être déprédatrice. Les pseudorques qui agissent ainsi au large d'Hawai sont en voie de disparition (moins de 170 individus). Dans ce contexte, même un seul individu tué est considéré comme un mort de trop. Lorsqu'une pseudorque a été tuée et une autre grièvement blessée en 2019, les régulateurs ont fermé une grande partie des eaux méridionales au large des îles hawaïennes à la pêche à la palangre pour le reste de l'année.
Plus au sud, dans les eaux subantarctiques, orques et cachalots ciblent la légine australe. Les palangriers tuent massivement les orques, dont la population dans la région a connu un déclin vertigineux de 60% entre 1988 et 2000, du fait de l'utilisation à leur encontre d'armes à feu et d'explosifs.. Voir le détail dans l'article de Nick Rahaim mis en ligne hier sur le site de "Hakai Magazine".
https://hakaimagazine.com/features/clever-whales-and-the-violent-fight-for-fish-on-the-line/